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XXXI. Je dis donc : Si l’on partage le territoire de la Campanie, loin d’en faire jouir le peuple et de l’y établir, on l’en dépouillera réellement, on l’en expulsera. Tout ce territoire, en effet, est possédé et cultivé par un peuple doux et simple ; et c’est ce peuple d’honnêtes gens, de bons cultivateurs et de bons soldats, qu’un tribun populaire menace d’exproprier sans retour. Ces malheureux, nés et élevés dans ces campagnes, exercés aux pénibles travaux du labourage, n’auront donc plus d’asile, et toute la Campanie sera livrée aux satellites puissants, robustes et audacieux des décemvirs. Vous dites maintenant de vos ancêtres : Nos ancêtres nous ont laissé ce territoire ; vos descendants diront de vous : Nos pères ont perdu ce territoire que leurs pères leur avaient laissé. Pour moi, je le pense, si l’on partageait aujourd’hui le Champs de Mars, et qu’à chacun de vous on en donnât un morceau de deux pieds, n’aimeriez-vous pas mieux jouir en commun de la totalité, que chacun en propre d’une portion si minime ? Ainsi quand il vous reviendrait à chacun une part de ce territoire qu’on vous promet et qu’on destine à d’autres, il serait plus honorable encore de le posséder tous ensemble que chacun en particulier. Mais puisqu’il ne vous en reviendra rien, qu’on le réserve à d’autres, et qu’on vous l’enlève, ne défendrez-vous pas avec énergie vos domaines contre la loi de Rullus, ainsi que vous les défendiez contre l’invasion de l’ennemi ? Au territoire de la Campanie, Rullus ajoute la plaine de Stellate, et il assigne à chacun douze arpents de cette plaine, comme si les deux territoires étaient, à peu de chose près, de la même nature. On cherche, Romains, une multitude pour en remplir toutes ces villes. Car, je l’ai déjà dit, la loi permet aux décemvirs de jeter des colons dans les villes municipales et dans les anciennes colonies qu’il leur plaira de choisir : ils vont donc en remplir la ville municipale de Calénum, en combler Téanum, et enlacer dans un vaste réseau de garnisons Atella, Cumes, Naples, Pompéi, et Nucéries. Pouzzoles même, aujourd’hui indépendante et usant librement de tous ses privilèges, sera bientôt envahie par un nouveau peuple et par des soldats étrangers.

XXXII. Alors ce drapeau de la colonie campanienne, si redoutable pour notre empire, sera, par les décemvirs, arboré sur les murailles de Capoue ; alors une nouvelle Rome s’élèvera contre l’ancienne, contre la mère patrie. Des hommes criminels veulent transporter notre république dans une ville où nos ancêtres ont voulu qu’il n’existât plus de république ; nos ancêtres, dis-je, qui ne reconnaissaient dans le monde entier que trois villes, Carthage, Corinthe et Capoue, qui pussent prétendre au titre de cités souveraines, et en soutenir la dignité. Carthage fut détruite ; sa population nombreuse, sa nature et sa situation, les ports qui l’environnaient, les remparts dont elle était armée, semblaient l’enhardir à s’élancer de l’Afrique, et à fondre sur nos îles les plus opulentes. À peine reste-t-il quelques traces de Corinthe. Située dans ces défilés, dans ces gorges profondes qui conduisent en Grèce, elle nous en fermait l’entrée du côté de la terre, tandis qu’elle réunissait, pour ainsi dire, en une seule deux mers séparées par un isthme étroit, et toutes deux également favorables à la navigation. Ces villes, si loin de nos regards et du centre de l’empire, furent non seulement détruites, mais rasées de