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sont plus d’une fois à la merci d’un caprice de la fortune, d’un évènement imprévu ? A quoi nous serviront les ports de l’Asie, les campagnes de la Syrie, et tous nos revenus d’outre-mer, au moindre bruit d’un mouvement des pirates et des ennemis ? Mais les revenus de la Campanie, toujours sous notre main, sont défendus par nos villes fortifiées : ils ne servent point à armer nos ennemis, ils ne varient pas, ils ne sont exposés aux accidents ni du climat ni du sol. Nos ancêtres, loin d’avoir morcelé les terres prises aux Campaniens, achetèrent celles dont ils ne pouvaient justement dépouiller les propriétaires. Aussi, ni les Gracques, dont toutes les pensées avaient pour but l’intérêt du peuple romain ; ni L. Sylla, qui prodigua sans pudeur tout ce qu’il voulut à quiconque il voulut, n’ont osé toucher au territoire de la Campanie. Et Rullus s’est rencontré qui enlève à la république un bien dont ni la libéralité des Gracques, ni la tyrannie de Sylla n’avaient pu la déposséder !

XXX. Ce territoire, où vous ne passez plus maintenant sans dire qu’il est le vôtre, et que les étrangers qui le traversent, vous entendent ainsi qualifier, une fois divisé ne sera plus à vous, ni regardé comme tel. Viendront d’abord s’y fixer les hommes remuants, toujours prêts à la violence, et les brouillons, qui, au moindre signal des décemvirs, pourront bien courir sus aux citoyens et les assassiner. Vous verrez ensuite toute la Campanie passer aux mains de quelques citoyens riches et puissants. Pendant ce temps-là, vous, pour qui les armes de vos ancêtres ont conquis ce dépôt de vos plus beaux revenus, il ne vous restera pas un sillon du terrain qu’auront possédé vos pères et vos aïeux, et en cela votre indifférence aura été bien au delà de celle de simples particuliers. On dit en effet que Lentulus, prince du sénat, ayant été envoyé dans ce pays par vos ancêtres, afin d’y acheter, des deniers du trésor, les domaines privés enclavés dans le domaine public, rapporta qu’il n’avait pu, à aucun prix, obtenir d’un propriétaire la vente de sa terre ; que cet homme, obstiné dans son refus, disait ne pouvoir se résoudre à ce sacrifice, parce que, de toutes ses propriétés, c’était la seule dont on ne lui donnât jamais de mauvaises nouvelles. Quoi donc ! cette raison a touché un simple particulier, et elle ne touchera pas le peuple romain, et il livrera gratuitement, sur la demande de Rullus, la Campanie à de simples particuliers ! Mais le peuple romain peut dire de ce domaine ce que ce particulier disait de sa propriété. L’Asie, pendant la guerre contre Mithridate, est restée plusieurs années sans nous rien rapporter : les revenus d’Espagne, lors de la révolte de Sertorius, ont été nuls ; M. Aquillius, pendant la guerre des esclaves, a même prêté des blés aux villes de la Sicile ; mais de nos terres de la Campanie, il ne nous est jamais venu de mauvaises nouvelles. Tous nos autres revenus sont épuisés par les guerres ; ceux-là seuls nous donnent les moyens d’en soutenir le fardeau. J’ajoute que ce partage du territoire de la Campanie ne pourrait être justifié par cette raison, valable pour tous les autres, à savoir, qu’il ne doit pas y avoir de terres qui ne soient occupées par le peuple et cultivées par des hommes libres.