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Rome, qui vivaient sans cesse dans le pillage et le sang, reprocheront-ils à Sextus les atrocités de ces temps désastreux ? Cette foule d’assassins dont ils étaient eux-mêmes les chefs et les guides, sera-t-elle imputée à Sextus, qui n’était pas à Rome, qui même ignorait ce qui se passait à Rome, puisque, de votre propre aveu, il a toujours vécu à la campagne ?

Juges, ce serait abuser de votre patience et paraître me défier de vos lumières, que d’insister plus longtemps sur des choses aussi évidentes. Je crois avoir détruit victorieusement l’accusation d’Érucius : car sans doute vous n’attendez pas que je réfute ce qu’il lui a plu d’avancer au sujet du péculat et d’autres chimères semblables ; griefs nouveaux et dont nous n’avions point entendu parler jusqu’à ce moment. J’ai pensé que c’étaient quelques lambeaux d’un discours qu’il prépare contre un autre accusé, tant ils sont étrangers à une cause de parricide, et à la personne de celui que je défends. A des allégations sans preuve, une dénégation suffit. S’il réserve quelque chose pour les témoins, il nous trouvera aussi dans cette partie, comme dans tout le reste, mieux préparés qu’il ne le croyait.

XXX. Maintenant je deviens accusateur : il me faut tout le sentiment de mes devoirs pour m’y déterminer. Si j’accusais par goût et par calcul, j’attaquerais d’autres hommes dont l’importance me pourrait donner de la célébrité ; ce que je ne voudrai jamais faire, tant que je pourrai m’en dispenser. En effet, l’homme vraiment digne de nos hommages est, selon moi, celui qui s’est élevé par son propre mérite, et qui n’a point fondé sa grandeur sur l’infortune et la ruine des autres.

Sortons enfin de ces discussions, qui ne peuvent rien nous apprendre. Cherchons le crime où il est ; suivons-en toutes les traces. Vous allez connaître, Érucius, quelle foule de présomptions appuie une accusation réelle et positive. Cependant je ne dirai pas tout, et je ne ferai qu’effleurer chaque objet. Je me tairais même, si je n’étais contraint de parler ; et ce qui prouvera que je parle à regret, c’est que je n’irai pas plus loin que ne l’exigeront l’intérêt de Sextus et la fidélité de mon ministère.

Vous ne trouviez pas un seul motif dans Sextus, et moi j’en trouve plusieurs dans Titus ; car c’est vous, Titus, que j’accuse, parce que vous êtes assis sur ce banc, et que vous vous déclarez ouvertement notre adversaire. Par la suite, je m’occuperai de Capiton, s’il se présente comme témoin, ainsi qu’on l’annonce : il entendra parler de ses autres exploits, dont il ne soupçonne pas même que je sois instruit.

Le célèbre Cassius, que le peuple romain regardait comme le juge le plus intègre et le plus éclairé, s’attachait dans les causes à reconnaître à qui l’action avait été profitable. En effet, tels sont les hommes ; nul d’eux ne se porte à faire le mal sans intérêt. Les accusés redoutaient de l’avoir pour juge, parce que, quel que fût son amour pour la justice, il semble être par lui-même plus porté à la rigueur que sensible à la pitié. Pour moi, quoique ce tribunal soit présidé par un homme dont le courage sait braver l’audace, et que sa vertu dispose à l’indulgence, je consentirais volontiers à défendre Sextus devant Cassius lui-même, présidant ces juges austères, dont le seul nom fait encore pâlir les accusés.