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achète, sans toutefois forcer personne à vendre. Et s’il n’y a pas de vendeurs, que deviendra l’argent, je vous prie ? La loi défend de le verser au trésor, de le demander même aux décemvirs. Les décemvirs garderont donc l’argent ; on ne vous achètera point de terres. Vos revenus seront aliénés ; vos alliés, persécutés ; les rois et les peuples, épuisés : mais les décemvirs auront l’argent, et vous vous passerez de terres. L’abondance de l’argent, dit Rullus, inspirera facilement le désir de vendre. Ainsi, nous vendrons comme nous pourrons ce qui est à nous, et nous achèterons ce qui est aux autres, comme ils le voudront. Puis, ces terres dont la loi prescrit l’acquisition, devront recevoir des colonies envoyées par les décemvirs !

Quoi ! tout pays est-il ainsi fait qu’il soit indifférent à la république d’y envoyer ou non des colonies ? Tel lieu demande-t-il des colonies ; tel autre ne les repousse-t-il pas ? En cela, comme dans les autres parties de la république, il est utile de rappeler la sage politique de nos ancêtres. Ils choisissaient, pour y installer leurs colonies, des lieux si convenables, si propres à les garantir de tout péril, qu’elles semblaient moins être des villes d’Italie que des boulevards de l’empire. Mais les décemvirs établiront des colonies sur les terres qu’ils auront achetées. — Même contre l’intérêt de la république ? — « ET DE PLUS, DANS LES LIEUX QU’ILS JUGERONT À PROPOS. » Qui les empêchera d’en fonder une sur le mont Janicule, et de placer, au-dessus de vos têtes, le siége de leur tyrannie ? Vous ne désignerez, Rullus, ni le nombre, ni le lieu, ni la force de vos colonies ? Vous vous emparerez du lieu qui vous semblera le mieux favoriser vos projets violents, vous le peuplerez, vous le fortifierez comme il vous plaira ; les revenus du peuple, ses domaines, seront dans vos mains les instruments qui vous aideront à opprimer ce même peuple, à le courber sous le joug de votre omnipotence décemvirale !

XXVIII. Écoutez, Romains, je vous prie, comment Rullus se propose d’investir toute l’Italie, de la couvrir de ses garnisons. Il permet aux décemvirs d’envoyer à leur guise, dans toutes les villes municipales, dans toutes les colonies de l’Italie, des citoyens auxquels il veut qu’on assigne des terres. N’est-ce pas chercher évidemment à usurper plus de puissance et de force que n’en comporte la liberté de vos institutions ? N’est-ce pas évidemment se constituer une autorité royale ? N’est-ce pas évidemment détruire votre indépendance ? Car lorsque ces hommes auront employé tout ce qu’ils ont de moyens énergiques pour se rendre maîtres de l’argent des populations, en un mot, de l’Italie entière ; lorsqu’ils tiendront votre liberté cernée de toutes parts, par leurs garnisons et leurs colonies, quelle espérance, quel pouvoir vous restera-t-il de la recouvrer ?

Mais, d’après la loi, on distribuera le territoire de la Campanie, le plus riche de l’univers ; on enverra une colonie à Capoue, la ville la plus belle et la plus considérable. À cela, que répondre ? Je parlerai d’abord, Romains, de ce qui regarde vos intérêts ; ensuite de ce qu’exigent votre dignité, votre honneur, afin que s’il en est parmi vous qui soient séduits par la richesse de la ville et de son territoire, ils n’attendent pas de s’y voir établis, et que ceux qui se laisseraient émouvoir par la grandeur du projet, résistent