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milles, on n’a jamais confié à aucun d’eux, ni le droit de tout juger et de tout vendre, et cela par toute la terre et pendant cinq ans ; ni celui d’aliéner les domaines du peuple romain ; ni enfin, après avoir sans témoins, et suivant son caprice, amassé des sommes énormes, celui d’acheter à qui bon lui semblait tout ce qui lui plairait. Abandonnez maintenant, Romains, ce monstrueux pouvoir aux hommes que vous soupçonnez être à la piste du décemvirat ; vous trouverez qu’ils n’auront jamais assez, les uns pour assouvir leur avarice, les autres pour fournir à leurs prodigalités.

XXV. Ici, je ne discute pas même, Romains, ces vérités reconnues, que nos ancêtres ne nous ont point transmis l’usage d’acheter des terres aux particuliers, afin d’y envoyer le peuple par colonies ; que, suivant toutes les lois, ce sont des particuliers qui ont été envoyés dans ce but sur les domaines de la république ; que j’attendais de ce tribun austère et farouche quelque proposition analogue : mais j’ai toujours regardé ces trafics honteux, ce commerce d’acquisitions et de ventes, comme incompatible avec les fonctions du tribunat, avec la dignité du peuple romain. Il vous plaît d’acheter des terres ? D’abord, je le demande, quelles terres et dans quel pays ? Je ne veux pas que le peuple romain soit tenu en suspens, ni qu’on le berce de promesses vagues et de mystérieuses espérances. Nous avons les territoires d’Albe, de Sétia, de Priverne, de Fondi, de Vescia, de Faterne, de Linterne, de Cumes, de Casinum. J’entends. A l’autre porte nous avons ceux de Capène, de Falisque, de la Sabine, de Réate, de Vénafre, d’Arlifa, de Trébule. Vous avez tant d’argent, Rullus, que vous pouvez, non seulement acheter tous ces territoires et d’autres pareils, mais encore les acheter tous en masse ; pourquoi ne les désignez-vous pas, ne les nommez-vous pas ? Le peuple examinerait au moins ce qu’il lui importe de faire, et jusqu’à quel point il est expédient de se confier à vous pour acquérir et pour vendre. « Je désigne l’Italie », dit-il. La désignation est claire. Car, d’être envoyé en colonies sur les coteaux de Massique, ou dans l’Apulie, ou ailleurs, la différence est peu de chose. Mais encore, vous ne spécifiez point le lieu. Et la nature des terres ? CE SONT, dit Rullus, LES TERRES QUI PEUVENT ÊTRE LABOURÉES OU CULTIVÉES ; qui peuvent être labourées ou cultivées, dit-il, et non pas qui sont labourées ou cultivées. Est-ce là une loi ? ou plutôt, n’est-ce pas l’annonce d’une vente de Nératius, laquelle annonce contenait, dit-on, cet article : « DEUX CENTS ARPENTS QUI PEUVENT ÊTRE PLANTÉS D’OLIVIERS ; TROIS CENTS ARPENTS QUI PEUVENT ÊTRE PLANTÉS DE VIGNES. » Avec cette prodigieuse quantité d’argent, voilà donc ce que vous achèterez ; des terres qui pourront être labourées ou cultivées ? Est-il un terrain si maigre et si aride que ne puisse pénétrer la charrue ? Est-il un sol si dur, si rocailleux, que les travaux du laboureur ne parviennent à mettre en culture ? La raison, dit Rullus, qui s’oppose à ce que je désigne les terres, c’est que je ne contraindrai personne à vendre. Cette indulgence de Rullus lui sera en effet beaucoup plus lucrative, car il spéculera, Romains, sur vos propres deniers, et n’achètera des terres que lorsque vendeur et acheteur y trouveront à la fois leur compte.

XXVI. Mais considérez la vertu puissante de cette loi : ceux mêmes qui possèdent des terres provenant de nos domaines ne seront expropriés