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et non sur le privilège de la jouissance ; car ils conviennent que leur territoire est domaine public, et se contentent de dire qu’on ne doit pas les exproprier, ni les chasser des lieux qui leur sont chers et où se trouvent leurs dieux pénates. Or, si ce territoire ne fait point partie de notre domaine, pourquoi l’excepter ? s’il en dépend, où est la justice de permettre qu’on déclare acquises au domaine public des propriétés privées, et d’en excepter une qui reconnaît appartenir à ce même domaine ? C’est donc par d’autres raisons particulières, Rullus, que cette exception a été ménagée ; tous les autres territoires, dans tous les pays, sans choix aucun, seront, à l’insu du peuple romain et sans l’avis du sénat, adjugés aux décemvirs.

XXII. L’article précédent, celui qui permet de tout vendre, renferme encore une exception assez lucrative : il fait grâce aux domaines garantis par un traité. Rullus a entendu dire fréquemment dans le sénat, et plus d’une fois à cette tribune, non par moi, mais par d’autres, que le roi Hiempsal possédait sur la côte d’Afrique des terres que P. Scipion avait adjugées au peuple romain, et que le consul Cotta avait néanmoins garanties à ce prince par un traité. Comme vous n’avez pas ratifié ce traité, Hiempsal craint qu’il ne soit pas suffisamment sûr ni légal. Qu’est-ce à dire ? On se passe de votre approbation pour ce traité, on l’approuve soi-même, et là-dessus on fonde une exception. Mais la vente des décemvirs en sera diminuée, d’accord ; les possessions d’un prince ami seront épargnées ; je loue ces égards ; mais que cette faveur soit désintéressée, je n’en crois rien. L’image de Juba, le fils du roi, de ce jeune prince, non moins attrayant par son or que par sa belle chevelure, a déjà fasciné leurs yeux.

On trouverait à peine un lieu capable de contenir tant de trésors. Rullus ajoute, entasse, accumule : « TOUT L’OR, TOUT L’ARGENT PROVENANT DU BUTIN, DES DÉPOUILLES ET DE L’OR CORONAIRE, EN QUELQUES MAINS QU’IL AIT PASSÉ, ET QUI N’AURA PAS ÉTÉ VERSÉ AU TRÉSOR, NI EMPLOYÉ DANS LES MONUMENTS, » doit être déclaré et apporté aux décemvirs. Vous voyez, par cet article, que le droit d’enquête sur la conduite des plus illustres généraux qui ont terminé les guerres du peuple romain, et le droit de jugement pour crime de concussion, sont déférés aux mêmes décemvirs. Ce sont eux qui estimeront la valeur du butin, ce que chaque général en aura remis au trésor, ce qu’il aura gardé pour lui-même. Cette loi impose dorénavant, à chacun de vos généraux, l’obligation d’aller, au sortir de la province, déclarer aux décemvirs ce qu’il aura tiré du butin, des dépouilles et de l’or coronaire. Ici, toutefois, cet excellent Rullus excepte Pompée, qu’il aime. D’où lui vient cette affection subite et si imprévue ? Un homme qu’on exclut presque nommément de l’honneur du décemvirat, auquel on ravit le droit de juger les peuples qu’il a vaincus, de leur donner des lois, de disposer de leurs terres ; qui voit venir non seulement dans sa province, mais jusque dans son camp, des décemvirs avec les faisceaux, avec des sommes immenses, une juridiction universelle, une puissance infinie ; qui seul enfin est dépouillé des prérogatives de sa haute position militaire, prérogatives conservées de tout temps a tous les généraux : cet homme, dis-je, est seul dispensé de rendre compte du butin. Est-ce un