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les trophées du général sur le sol même où il les a cueillis ? Figurez-vous Rullus dans le Pont, plantant la pique entre le camp des Romains et celui des ennemis, et procédant à la vente, entouré de ses brillants arpenteurs. Et il n’y a pas seulement un affront, aussi insigne que nouveau, à vendre et même à donner à ferme le produit de nos conquêtes, quand le vaincu n’a pas encore subi nos lois, quand notre général fait encore la guerre ; les décemvirs méditent certainement quelque chose de plus qu’un affront. Ils espèrent bien, si l’on ferme les yeux sur leurs sentiments haineux à l’égard de Pompée, non seulement transporter dans tous les pays leur autorité militaire, leur juridiction universelle, leur puissance absolue et leurs innombrables trésors, mais pénétrer jusqu’à son armée, le surprendre dans leurs piéges, détacher de lui une partie de ses troupes, affaiblir ses ressources et ternir sa gloire. Ils pensent que si l’armée attend de son chef des terres ou d’autres récompenses, elle perdra cette espérance en voyant passer aux mains des décemvirs le droit de disposer de toutes les faveurs. Je souffre sans peine qu’il y ait des hommes assez sots pour se bercer de ces chimères, assez impudents pour chercher à les réaliser ; ce dont je me plains, c’est qu’ils m’aient assez méprisé pour tramer, sous mon consulat, ces complots monstrueux.

Et cette vente générale de terres et de maisons, les décemvirs peuvent l’étendre « EN QUELS LIEUX ILS VOUDRONT. » Quel renversement de tout ordre ! quelle audace effrénée ! quels projets furieux et désespérés !

XXI. Il n’est permis d’affermer les revenus de l’État nulle autre part que dans Rome, au lieu même d’où je vous parle, en présence du peuple assemblé ; et on laissera vendre, aliéner à toujours vos propriétés, au fond de quelque retraite obscure de la Paphlagonie ou dans les solitudes de la Cappadoce ? Lorsque Sylla vendait, à ces enchères de funeste mémoire, les biens des citoyens non condamnés, ce qu’il appelait vendre son butin, il opérait ici même, sur cette place, et n’était pas assez audacieux pour se soustraire à la présence de ceux dont il blessait les regards ; et les décemvirs vendront vos revenus, non seulement loin de votre contrôle, mais sans prendre même pour témoin le crieur public ?

Vient ensuite la vente « DE TOUTES LES TERRES HORS DE L’ITALIE, » de celles sans doute que nous possédons depuis un temps illimité, et non, comme ils le disaient d’abord, depuis le consulat de Sylla et de Pompée. Ils jugeront, si telle propriété est privée ou publique ; c’est la frapper déjà d’un impôt excessif. Qui ne voit de suite l’énormité, la tyrannie insupportable et toute royale d’un pouvoir qui, partout, au gré de son caprice, sans discussion, sans conseil, confisque au profit de l’État les propriétés privées, ou affranchit les propriétés publiques ? On excepte dans ce chapitre le territoire de Récentore en Sicile. Je me réjouis fort de cette exception, Romains ; à cause des liens d’amitié qui m’attachent aux habitants de ce pays, et parce que la chose est juste Mais voyez l’impudence ! Les possesseurs de ce territoire s’appuient sur l’ancienneté de la possession, et non sur un droit ; sur la bienveillance du sénat,