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odieux ; il est redouté même dans un personnage insignifiant, parce que ce personnage, une fois sorti de Rome, abuse, non pas de son nom, mais du vôtre. Quand donc les décemvirs avec leur toute-puissance, leurs faisceaux, et cette jeune élite de leurs arpenteurs, se répandront sur toute la terre, quels seront, à votre avis, les sentiments, les craintes, le danger des malheureuses nations ? Le formidable appareil de la puissance inspire la terreur, elles obéiront ; son arrivée occasionne des dépenses, elles les supporteront ; on exigera quelques présents, elles ne les refuseront pas. Mais que sera-ce, Romains, lorsqu’un décemvir, ou attendu dans une ville comme un hôte, ou bien y arrivant à l’improviste comme un maître, annoncera que le lieu où il sera venu, que le toit sous lequel il aura reçu l’hospitalité, est la propriété du peuple romain ? quel malheur pour les habitants, s’il le dit ! Quelle source de gain pour lui-même, s’il ne le dit pas ! Et ces hommes de convoitise sont les mêmes qui se plaignent quelquefois que la terre et la mer aient été abandonnés à Pompée ! Est-ce donc la même chose qu’un abandon partiel, ou une concession sans limites ? La responsabilité du travail et des affaires ou celle de piller et de faire des bénéfices ? La mission de délivrer les alliés, ou celle de les opprimer ? Enfin lorsqu’il s’agit d’une dignité extraordinaire, est-ce la même chose que le peuple romain l’octroie à qui il veut, ou que, par une loi captieuse, elle soit impudemment surprise au peuple romain ?

XVIII. Vous savez maintenant combien cette loi permet aux décemvirs de vendre de choses, et combien ces choses sont importantes. Ce n’est pas encore assez. Quand ils se seront gorgés du sang des alliés et des nations étrangères, ils couperont le nerf de l’État, ils mettront la main sur vos revenus, ils fondront sur le trésor public. En effet, je trouve ensuite un article qui non seulement permet, si l’argent vient à manquer (ce qui est impossible après toutes les sommes que devront produire les opérations dont j’ai parlé ci-dessus), mais qui ordonne aux décemvirs, et qui les force, comme si votre salut en dépendait, de vendre nommément vos revenus. Qu’on lise donc la vente des biens du peuple romain, article par article, ainsi qu’ils sont portés dans la loi, cette lecture sera, j’en suis persuadé, affligeante et pénible pour le crieur lui-même…. Dans les affaires publiques, comme dans les siennes, Rullus procède en dissipateur éhonté ; il vend les bois avant les vignes. Vous avez parcouru l’Italie, passez en Sicile… Cette province n’a rien de ce que nous ont laissé nos ancêtres, soit dans les villes, soit dans les campagnes, dont Rullus ne prescrive la vente. Et ces possessions, que vous avez recouvrées après une victoire récente, que vos pères vous avaient laissées dans les villes et dans les pays des alliés, comme des gages de la paix et des monuments de nos triomphes ; ces terres enfin que vous avez reçues de tels hommes, les vendrez-vous de par la volonté de Rullus ? Ici, Romains, je vais, ce me semble, toucher tant soit peu vos cœurs, en vous dévoilant les noires intrigues qu’on trame dans l’ombre contre la gloire de Pompée, et qu’on s’est flatté de dérober à nos yeux. Pardonnez, je vous prie, si je prononce trop souvent ce grand nom. Vous-mêmes, il y a deux ans, quand j’étais préteur, et parlais à cette tribune, vous m’imposâtes la tâche de défendre avec vous, par tous les moyens possibles, la gloire de Pom-