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intacts depuis le rétablissement de la puissance tribunitienne, et que nos ancêtres ont conservés au sein de la cité pour servir de refuge dans les temps d’alarme. Ces lieux donc seront vendus par les décemvirs, en vertu de la loi tribunitienne. Ajoutez-y le mont Gaurus et les marais de Minturnes ; ajoutez-y encore la voie d’Herculanum, qui vaut bien la peine d’être vendue pour ses campagnes délicieuses et d’un si bon revenu : ajoutez-y enfin beaucoup d’autres propriétés, dont le sénat, alors que les finances étaient épuisées, décréta l’aliénation, mais que les consuls ne vendaient pas, pour ne pas vous déplaire. S’il n’est pas question de tout cela dans la loi, c’est sans doute, je le répète, par pudeur. Mais ce qu’il faut craindre, ce qu’il faut éviter avant tout, c’est de laisser à des décemvirs audacieux la liberté d’altérer les registres publics, et de supposer des sénatus-consultes qui n’existèrent jamais, supposition d’autant plus facile que, parmi les citoyens qui ont exercé le consulat durant cet intervalle, beaucoup ont cessé de vivre ; à moins peut-être qu’il ne soit injuste de suspecter l’audace de ces hommes dont la cupidité paraît être à l’étroit dans l’univers entier.

XV. Je m’aperçois que vous comprenez très bien la gravité de cette sorte de vente ; mais écoutez la suite, et vous verrez que cette vente est comme un premier degré, comme une ouverture à d’autres malversations. LES CHAMPS, dit la loi, LES PLACES, LES ÉDIFICES. Qu’y a-t-il de plus ? beaucoup de choses ; des esclaves, du bétail, des matières d’or et d’argent, de l’ivoire, des tapis, des meubles, et d’autres choses encore. Eh bien, Rullus aurait-il craint de se rendre odieux en nommant ces objets ? nullement. Quelle était donc son idée ? Il a jugé ces détails trop longs, et a craint d’oublier quelque chose. Il a donc ajouté, « ET LE RESTE ». Dans ce peu de mots, comme vous voyez, rien n’est excepté. Ainsi, tout ce qui est devenu votre domaine hors de l’Italie, pendant et depuis le consulat de L. Sylla et de Q. Pompée, sera vendu par les décemvirs ; ainsi le veut Rullus. Je dis, Romains, que, par cet article, toutes les nations, les provinces et les royaumes sont livrés, abandonnés à la juridiction, au pouvoir, à l’arbitraire des décemvirs. Car, je le demande, quel est le lieu dont les décemvirs ne puissent pas dire qu’il est devenu domaine de la république ? Et de quel lieu ne le diront-ils pas, quand ils en seront eux-mêmes les juges ? Ils ne se gêneront pas pour déclarer que Pergame, Smyrne, Tralles, Éphèse, Milet, Cyzique, et toute cette partie de l’Asie reconquise depuis le consulat de L. Sylla et de Q. Pompée, appartiennent en toute propriété au peuple romain. Les raisons manqueront-elles à l’appui de cette opinion ? et celui qui la soutiendra, devant aussi décider, pourra-t-il résister au désir de juger contre la justice ? S’il épargne l’Asie, ne mettra-t-il pas à tel prix qu’il voudra les craintes et les menaces d’une condamnation ? Mais peut-on discuter davantage quand la chose a été jugée et décidée par vous-mêmes ; quand vous vous êtes déclarés héritiers de ce royaume de Bithynie, devenu ainsi sans retour le domaine du peuple romain ? comment empê-