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cortège d’appariteurs, de greffiers, de secrétaires, d’huissiers, d’architectes, et il joint à cela des mulets, des équipages, des tentes et des ameublements. Pour fournir à ces dépenses, il puise dans le trésor public et rançonne nos alliés. Chaque année, deux cents hommes tirés de l’ordre des chevaliers, et chargés de mesurer les terres, sont constitués gardiens de leur personne, ministres et satellites de leur autorité. Ce ne sont là jusqu’ici, Romains, que les dehors de la tyrannie ; vous en voyez tout le faste et non encore la puissance elle-même. On me dira peut-être : En quoi vous blessent un greffier, un licteur, un huissier, un pullaire ? Eh ! peut-on n’être pas blessé de toutes ces distinctions si nombreuses et de telle nature que celui qui les a usurpées semble être un roi odieux ou un particulier en démence ?

Mais observez attentivement quel immense pouvoir est attribué aux décemvirs, et vous avouerez qu’il ne s’agit pas là de particuliers en démence, mais bien de despotes les plus absolus. On leur confère d’abord la faculté illimitée de tirer de vos domaines des sommes considérables, non pour les faire valoir, mais pour les aliéner. On leur permet ensuite de juger sans conseil tous les peuples de l’univers, de condamner sans appel, de punir sans miséricorde. Pendant cinq ans, ils pourront juger ou des consuls ou des tribuns du peuple, et personne ne pourra les juger eux-mêmes : ils exerceront souverainement la justice, et ils n’y seront point soumis ; ils pourront acheter les terres qu’ils voudront, de qui ils voudront, au prix qu’ils voudront : on leur permet d’établir de nouvelles colonies, de renouveler les anciennes, de couvrir de colons l’Italie entière ; on leur donne plein pouvoir de parcourir toutes les provinces, de confisquer les terres des peuples libres, de disposer à leur gré des royaumes. Ils peuvent rester à Rome quand cela leur convient, et ont toute liberté d’aller en quelque lieu que ce soit, avec une autorité souveraine, et une juridiction universelle. Cependant, ils casseront les arrêts des tribunaux constitués ; ils éloigneront les juges qui leur déplairont ; ils prononceront, chacun isolément, sur les affaires les plus importantes, ou délégueront ce pouvoir au questeur ; ils enverront un arpenteur, et le rapport de cet agent, à celui-là seul qui l’aura envoyé, sera immédiatement ratifié.

XIV. L’expression me manque, Romains, quand j’appelle ce pouvoir un pouvoir royal ; il est certes quelque chose de plus. Il n’y eut jamais de monarchie qui ne fût limitée sinon par des lois, du moins par l’étendue de son territoire. Le pouvoir décemviral, au contraire, est sans bornes, puisque la loi qui le crée livre à sa discrétion tous les royaumes, votre empire qui est si vaste, les contrées qui ne sont pas vos tributaires, et celles même qui vous sont inconnues.

On leur permet donc d’abord de vendre tout ce dont les sénatus-consultes publiés sous le consulat de M. Tullius et de Cn. Cornélius, ou depuis ce consulat, avaient déjà autorisé la vente. Pourquoi cette définition obscure et louche ? Les objets qui ont motivé la décision du sénat ne pouvaient-ils pas être spécifiés nommément dans la loi ? Il y a, Romains, deux causes de cette obscurité : la première est un sentiment de pudeur, si la pudeur n’est pas incompatible avec une conduite aussi effrontée ; la seconde est une intention criminelle. Rullus n’ose pas nommer les objets dont le sénat avait ordonné la vente ; car ce sont des lieux publics à Rome, ce sont des lieux sacrés restés