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avoir eu d’autres desseins que j’ignore. Mais laissons là ces précautions aussi perverses que ridicules, aussi captieuses qu’enveloppées d’obscurité ; revenons aux scrupules de cet homme. Il voit que l’action des décemvirs est paralysée sans une loi des curies. Mais si cette loi n’est pas portée ? Admirez le génie inventif de Rullus. « ALORS, dit-il, LES DÉCEMVIRS LE SERONT AU MÊME TITRE QUE S’ILS L’ÉTAIENT EN VERTU DE LA LOI LA PLUS FAVORABLE. » S’il se peut faire que, dans cet État, le plus libre de tous, quelqu’un obtienne un commandement, un pouvoir quelconque sans une assemblée des comices, à quoi bon demander dans un troisième article qu’on porte une loi des curies, lorsque vous permettez dans le quatrième que, nonobstant cette formalité, les décemvirs aient les mêmes droits que s’ils avaient été créés par le peuple, suivant la loi la plus favorable ? Romains, ce sont des rois et non des décemvirs qu’on vous impose ; et telles sont les bases sur lesquelles est fondée leur puissance, que, dès leur entrée en exercice, au moment même de leur institution, vos droits, vos pouvoirs, votre liberté auront disparu.

XII. Mais voyez encore avec quel soin il ménage l’autorité tribunitienne. Les tribuns du peuple se sont souvent opposés aux consuls qui portaient une loi des curies. Nous ne réclamons pas contre ce privilège ; seulement, nous en blâmons l’abus. Notre tribun le repousse, lui, à l’occasion d’une loi portée par un préteur. Si l’on doit trouver répréhensible, dans un tribun du peuple, une atteinte à l’autorité tribunitienne, il paraîtra surtout ridicule que, tandis qu’un consul ne peut se mêler de l’administration de la guerre, sans une loi des curies, le tribun qui interdit le droit d’opposition annonce, qu’en dépit de toute opposition, il installera la puissance décemvirale, comme si sa loi était sanctionnée. De sorte que je ne comprends pas pourquoi il défend d’intervenir, ni comment il pense qu’on interviendra, lorsque l’intervention serait un acte de folie et n’empêcherait pas l’effet de la loi. Voilà donc des décemvirs qui ne sont créés ni dans les véritables comices, c’est-à-dire, par les suffrages du peuple, ni dans les comices convoqués pour la forme, à cause des auspices, et représentés, suivant la coutume antique, par trente licteurs. Maintenant vous allez voir ces hommes, qui n’auront reçu de vous aucune partie de leur mandat, recevoir au contraire, de la munificence de Rullus, des distinctions telles qu’il n’en a jamais été accordé d’aussi éclatantes à nous tous qui vous sommes cependant redevables de hautes dignités. Il veut que, pour prendre les auspices en établissant les colonies, les décemvirs aient avec eux des pullaires, « PAR LE MÊME DROIT, dit-il, QU’EN ONT EU LES TRIUMVIRS EN VERTU DE LA LOI SEMPRONIA. » Vous osez encore, Rullus, parler de la loi Sempronia ? Mais cette loi même ne vous apprend-elle pas que les triumvirs ont été créés par les suffrages des trente-cinq tribus ? Or vous, qui êtes si étranger aux sentiments d’honneur et d’équité de C. Gracchus, vous prétendez que là où le principe de l’élection est si différent, doivent exister les mêmes droits ?

XIII. Outre cela, Rullus donne à ses décemvirs une puissance prétorienne de nom, mais royale de fait : il la limite à cinq ans, mais il la perpétue en effet ; car il l’environne d’un tel appareil de pouvoir et de force, qu’il sera impossible de la leur ôter malgré eux. Il leur forme ensuite tout un