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illustre personnage, et au récit de l’affront que cette loi lui inflige, je répéterai ce que j’ai dit en commençant : on veut par cette loi fonder la tyrannie, anéantir votre liberté. Pourrait-il en être autrement, dites-moi, lorsqu’une poignée d’hommes aurait jeté sur toutes vos possessions des regards de convoitise ; et pensiez-vous qu’ils ne fissent pas tout pour enlever à Pompée tout moyen de protéger votre liberté, tout pouvoir, toute responsabilité, toute surveillance active de vos intérêts ? Ils ont prévu, et ils prévoient encore que, si par inattention de votre part ou négligence de la mienne, vous receviez cette loi sans la connaître parfaitement, et qu’ensuite, après l’élection des décemvirs, vous veniez à découvrir la ruse, vous pourriez juger bon d’opposer l’influence de Pompée aux vices et aux criminels abus de cette loi funeste. Et sera-ce pour vous une médiocre preuve que certains hommes aspirent au pouvoir absolu, si vous voyez celui qu’ils regardent eux-mêmes comme le gardien de vos libertés, privé des honneurs qui lui appartiennent ?

Voyez maintenant quelle est la nature, quelle est l’étendue de l’autorité donnée aux décemvirs. Rullus veut d’abord qu’une loi des curies confirme leur élection. Chose inouïe et tout à fait nouvelle qu’une magistrature soit confirmée par une loi des curies avant d’avoir été donnée par les comices ! Il veut que la loi soit portée par le préteur qui aura été élu le premier. Et comment ? « afin, dit-il, que ceux-là soient décemvirs que le peuple aura désignés. » Il a oublié qu’ils ne doivent pas être désignés par le peuple. Et il impose à l’univers de nouvelles lois, cet homme qui oublie dans un troisième article ce qu’il a dit dans le second ! Maintenant, voyez-vous clairement les droits que vous avez reçus de vos pères, et ceux que vous laisse votre tribun ?

XI. Vos ancêtres ont voulu que, pour toute magistrature, vous donnassiez deux fois vos suffrages. La loi des centuries étant pour les censeurs, et celle des curies pour les autres magistratures patriciennes, il fallait appeler une seconde fois au vote pour la même élection, afin que le peuple pût se rétracter, s’il se repentait de son choix. Aujourd’hui que vous avez adopté les comices par centuries et par tribus, les comices par curies ne sont réservés que pour les auspices. Mais ce tribun, voyant qu’il n’était possible à personne de posséder une charge sans l’agrément du peuple, fait confirmer le décemvirat dans les comices par curies que vous ne permettez plus, et vous enlève les comices par tribus que vous aviez conservés. Ainsi, tandis que vos ancêtres ont voulu que vous délibérassiez dans deux comices différents pour chaque magistrature, ce tribun populaire n’a pas même laissé au peuple le pouvoir de tenir des comices d’une seule espèce. Mais remarquez ses scrupules et sa prévoyance : son œil pénétrant a découvert que la nomination des décemvirs ne serait pas valable sans une loi des curies, puisqu’elle n’aurait été opérée que par neuf tribus. Il ordonne donc qu’une loi des curies soit portée à ce sujet : il ordonne au préteur (peu m’importe l’absurdité de cette injonction), « Au PRÉTEUR QUI AURA ÉTÉ NOMMÉ LE PREMIER, DE PORTER LA LOI DES CURIES, OU A CELUI QUI AURA ÉTÉ NOMMÉ LE DERNIER, SI LE PREMIER NE LE PEUT PAS : » en sorte qu’il paraît ou s’être joué dans une affaire aussi sérieuse, ou