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principe devient plus rigoureux quand il s’agit d’offices à instituer pour l’intérêt de ce même peuple : tout le monde choisit alors celui qui est jugé le plus propre à servir le peuple romain, et chacun, par son zèle et par son vote, peut s’assurer le moyen d’obtenir sa part du bienfait. Et c’est à un tribun du peuple qu’il est venu dans l’esprit d’enlever au peuple entier son droit de suffrage, et d’appeler un petit nombre de tribus, non d’après les conditions légales, mais par la voie du sort, au gré de la fortune, à usurper l’exercice de la liberté commune ! « ON OBSERVERA., dit l’article suivant, LE MÊME MODE D’ÉLECTION QUE POUR UN SOUVERAIN PONTIFE. » Il n’a pas même fait attention que nos ancêtres, si respectueux pour les décrets du peuple, ont voulu qu’une dignité dont il n’était pas permis au peuple, à cause des usages religieux, de conférer l’investiture, ne fût cependant conférée, attendu l’importance du sacerdoce, qu’avec l’agrément du peuple. L’illustre tribun Cn. Domitius a soumis à la même règle toutes les autres fonctions sacerdotales ; il a fait décréter que, la religion interdisant au peuple la faculté de disposer des sacerdoces, on convoquerait moins de la moitié du peuple, et que celui qui en obtiendrait les suffrages serait agréé par le collège des prêtres. Voyez donc quelle différence entre le tribun Cn. Domitius, homme d’une noblesse incontestable, et P. Rullus, qui, je pense, a voulu mettre votre patience à l’épreuve en se disant noble. Une prérogative dont la rigueur de nos principes religieux privait le peuple, Domitius a obtenu qu’on vous la conférât, du moins en partie, et autant que le permettaient les lois divines et humaines ; et cette autre prérogative qui a toujours appartenu au peuple, qu’on n’a jamais diminuée ni changée, et par laquelle le peuple peut exiger de ceux qui se proposent de lui assigner des terres, qu’ils reçoivent de sa part un bienfait, avant de lui donner rien eux-mêmes, Rullus voudrait vous la ravir tout entière, vous l’arracher des mains ! L’un a donné en quelque sorte au peuple ce qui ne pouvait nullement lui appartenir, l’autre s’efforce de trouver quelque moyen de lui ôter ce qui ne pouvait à aucun droit lui être ravi.

VIII. On me demandera ce qu’il espère de tant d’injures et de tant d’audace. Il n’a pas manqué de prudence pour lui-même, mais il a manqué essentiellement de droiture et d’équité pour le peuple romain, pour votre liberté. Car il veut que l’auteur de la loi tienne les comices pour l’élection des décemvirs. Je m’explique. Rullus, cet homme modeste et sans ambition, veut que Rullus tienne les comices. Je ne le blâme pas encore ; d’autres ont fait comme lui ; mais ce que n’a fait personne, c’est-à-dire, convoquer moins de la moitié du peuple, cette innovation a un but, et le voici. Rullus tiendra les comices, il voudra nommer ceux auxquels sa loi confère une autorité vraiment royale. Il se défie d’une assemblée générale du peuple, et ses complices partagent sa défiance à votre égard. Le même Rullus tirera les tribus au sort. Cet homme heureux fera sortir de l’urne les tribus qu’il voudra. Ceux qu’auront nommés décemvirs les neuf tribus choisies au gré de Rullus deviendront, comme je le prouverai tout à l’heure, nos maîtres absolus. Pour ne point paraître oublieux et ingrats, ils avoueront qu’ils doivent quelque chose aux principaux citoyens des neuf tribus ; quant aux vingt-six autres, ils se croiront en droit de leur tout refuser. Mais enfin, qui veut-il que l’on crée décemvirs ? Lui d’abord. Cela est-il légal ? Il est d’anciennes lois,