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plusieurs copistes courent au forum ; ils transcrivent la loi et me l’apportent aussitôt.

VI. Je puis vous assurer, Romains, par toutes les raisons possibles, que j’ai mis cet empressement à lire la loi et à la connaître, dans l’intention réelle de la proposer aussi et d’en appuyer l’auteur, si je comprenais qu’elle vous fût utile et convenable. Car, ce n’est jamais par suite d’une nécessité absolue, d’une fatale aversion, d’une haine invétérée, qu’il règne une espèce de guerre entre le consulat et le tribunat. Si des consuls fermes et sages ont souvent résisté à des tribuns factieux et pervers, ou si la puissance tribunitienne a quelquefois traversé l’ambition consulaire, ce n’est pas de l’incompatibilité des deux pouvoirs, mais de la différence des sentiments, que naissait cette désunion. Je pris donc la loi avec le désir sincère de la trouver conforme à vos intérêts, telle enfin qu’un consul populaire pût la défendre par la parole, avec honneur, avec plaisir. Eh bien, depuis le premier article jusqu’au dernier, je découvre que la pensée, le but, l’exécution de cette loi ne tendent à rien moins qu’à établir dix rois maîtres du trésor public, de nos revenus, de toutes nos provinces, de toute la république, des royaumes, des peuples libres, en un mot, de toute la terre, au nom de ce qu’il leur plaît d’appeler la loi agraire. J’affirme donc, Romains, que cette loi sublime et populaire ne donne rien au peuple, et livre tout à quelques hommes bien connus ; qu’en promettant magnifiquement des terres au peuple romain, elle lui enlève sa liberté même ; qu’elle enrichit quelques particuliers et qu’elle ruine l’État ; qu’enfin, ce qu’il y a de plus indigne, un tribun du peuple, constitué par nos ancêtres le gardien et le surveillant de la liberté, ose établir des rois au sein d’une république. Si tout cela vous semble faux, quand je vous l’aurai exposé, je changerai mon avis pour suivre le vôtre ; si, au contraire, il est évident pour vous qu’on tend des pièges à votre liberté, sous l’apparence d’une prétendue largesse, n’hésitez pas à défendre, avec l’aide de votre consul, et sans beaucoup d’efforts de votre part, cette liberté que vos ancêtres ont acquise au prix de leurs sueurs et de leur sang, et dont ils vous out transmis l’héritage.

VII. Le premier article de la loi agraire doit être, suivant l’intention de ses auteurs, une légère épreuve de la tolérance dont vous êtes capables, en cas d’atteinte à vos libertés. Il permet « AU TRIBUN DU PEUPLE QUI AURA PORTÉ LA LOI, DE FAIRE NOMMER DES DÉCEMVIRS PAR DIX-SEPT TRIBUS, EN SORTE QUE CELUI-LA SOIT DECEMVIR, DONT L’ÉLECTION AURA ÉTÉ FAITE PAR NEUF TRIBUS. »

Je demande pour quelle raison Rullus cherche, dès le début de sa loi, à frustrer le peuple romain de son droit de suffrage ? On a créé bien des fois, pour pourvoir à l’exécution de lois agraires, des triumvirs, des quinquévirs, des décemvirs ; je demande encore à ce tribun populaire quand a eu lieu cette création autrement que par les trente-cinq tribus ? Car, s’il convient que tous les pouvoirs, les commandements, les emplois, émanent de la volonté du peuple entier, ce