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parlons devant les hommes judicieux, qui savent qu’on ne commet pas sans motif la faute même la plus légère.

XXVII Eh bien ! vous n’en pouvez produire aucun : c’en est assez pour assurer le triomphe de ma cause. Cependant je n’userai pas de tout mon droit, et sûr de l’innocence de Sextus, je vous accorderai dans cette cause ce que je ne vous accorderais dans aucune autre. Je ne demande plus pourquoi il a tué son père ; je demande comment il l’a tué. Oui, Érucius, voilà ce qu’il faut nous dire, et je vous permets ici de répondre, d’interrompre, et même d’interroger, si vous voulez.

Comment l’a-t-il tué ? a-t-il frappé lui-même ? a-t-il employé des bras étrangers ? Si vous prétendez qu’il l’a tué lui-même, il n’était pas à Rome. Si vous dites qu’il l’a fait égorger par d’autres, est-ce par des esclaves ou par des hommes libres ? sont-ce des hommes d’Amérie comme lui, ou quelques-uns des brigands dont Rome est infestée ? S’ils sont d’Amérie, faites-les connaître : pourquoi ne les pas nommer ? S’ils sont de Rome, d’où Roscius les avait-il connus, lui qui depuis longtemps n’est pas venu à Rome, et qui n’y séjourna jamais plus de trois jours ? en quel lieu s’est-il concerté avec eux ? auquel a-t-il parlé ? par quel moyen les a-t-il séduits ? A-t-il donné de l’argent ? à qui, par qui l’a-t-il donné ? d’où l’avait-il ? Quelle était la somme ? N’est-ce pas en suivant ces traces qu’on remonte à la source du crime ? Et rappelez-vous en même temps sous quelles couleurs vous avez peint la vie de Sextus. C’est, disiez-vous, un homme sauvage et grossier il n’a jamais eu de commerce avec personne ; jamais il n’a quitté ses champs.

Je pourrais observer, et ce serait une des plus fortes présomptions en sa faveur, que des mœurs champêtres, qu’une nourriture frugale, que cette vie simple et austère, ne s’accordent guère avec de tels attentats. Toutes les espèces d’arbres et de grains ne se rencontrent pas dans toutes les terres, de même tous les genres de vie ne produisent pas tous les genres de crime. C’est à la ville que naît le luxe : le luxe produit nécessairement la cupidité, et la cupidité enfante l’audace, qui est elle-même la mère de tous les crimes et de tous les forfaits. La vie champêtre, cette vie que vous nommez sauvage, est l’école de l’économie ; elle inspire le goût du travail et l’amour de la justice. Mais je supprime ces réflexions.

XXVIII. Je demande seulement par quels hommes cet homme qui, d’après vous-même, n’eut jamais de commerce avec les hommes, a-t-il fait commettre, étant absent de Rome, ce crime si horrible et dont le secret était si important pour lui ? Il y a souvent des accusations fausses, mais elles sont étayées du moins par quelques soupçons. Si l’on trouve ici l’ombre même d’un soupçon, je conviendrai que Sextus est coupable. Roscius a été tué à Rome, pendant que son fils était dans ses biens d’Amérie. Ce fils aura sans doute écrit à quelque assassin, lui qui ne connaissait personne à Rome. Il aura fait venir un assassin, mais dans quel temps ? Il aura envoyé un exprès : quel est cet exprès ? à qui l’a-t-il envoyé ? quels ont été ses moyens de séduction ? l’argent, les caresses, l’espérance, les promesses ? Rien de tout cela ne peut même être supposé ; et dans cette cause, cependant, il s’agit d’un parricide.

Il faut donc qu’il ait employé des esclaves. Ô sort vraiment déplorable ! dans une accusation de cette nature, la ressource ordinaire des innocents