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sessions, et si le territoire de Récentore est un domaine privé, qu’était-il besoin de les excepter ? Si au contraire ce traité est l’objet de quelque doute, si l’on a dit souvent que le domaine de Récentore est public, à qui Rullus fera-t-il croire que lui, Rullus, ait trouvé dans tout l’univers deux endroits seulement dignes de sa commisération gratuite ? Maintenant donc, y a-t-il quelque part un écu assez profondément enfoui, dont les fabricateurs de la loi n’aient flairé la retraite ? Les provinces, les villes libres, les alliés, les amis, les rois enfin, ils épuisent tout, ils portent la main sur les domaines de Rome. Ce n’est pas assez. Écoutez, écoutez, vous qui avez commandé les armées, et livré des batailles en vertu de l’auguste suffrage du peuple et du sénat. « QUICONQUE A REÇU OU QUI RECEVRA QUELQUE PARTIE DU BUTIN, DES DÉPOUILLES, DE L’OR CORONAIRE, LAQUELLE N’AURA PAS ÉTÉ EMPLOYÉE EN MONUMENTS OU VERSÉE AU TRÉSOR, EST TENU DE LA REMETTRE AUX DÉCEMVIRS. » Ainsi le veut la loi. Ils espèrent beaucoup de cet article ; déjà ils préparent des enquêtes contre tous les généraux et leurs héritiers ; mais c’est de Faustus principalement qu’ils pensent tirer les plus grosses sommes. Cette cause, dont ne voulurent point connaître des juges assermentés, est soumise à la décision des décemvirs. Peut-être même ceux-ci pensent-ils qu’elle n’a été ainsi abandonnée que pour être déférée à leur juridiction. Ensuite, Rullus n’est pas moins soucieux de l’avenir ; il décrète que tout général en possession d’une somme quelconque en fera la remise immédiate aux décemvirs. Cependant il excepte Pompée de la façon, selon moi, dont la loi qui expulse les étrangers de Rome excepte Glaucippe : car excepter ainsi un seul homme, c’est ne pas lui faire une grâce, c’est ne pas lui faire une injustice. Mais en restituant à Pompée sa part de dépouilles, il fait main basse sur le produit des domaines conquis par celui-ci ; car si la vente de ces nouveaux domaines, à opérer depuis notre consulat, doit rapporter quelque argent, il ordonne d’en adjuger l’emploi aux décemvirs. N’est-il pas sensible à tous que leur intention est de vendre aussi les propriétés dont Pompée est appelé à nous enrichir encore ?

V. Vous voyez déjà, sénateurs, se former, se grossir par tous les procédés imaginables le trésor des décemvirs. Mais ils atténueront l’odieux de son origine, ils le consacreront tout entier à des achats des terres. Très bien. Qui donc achètera ces terres ? les mêmes décemvirs ; et vous, Rullus (je ne parle plus de vos collègues), vous achèterez celles que vous voudrez, vendrez celles que vous voudrez, estimerez au prix que vous voudrez. Car cet honnête homme veut prévenir les achats forcés, comme si nous ignorions que de telles opérations sont injustes, et qu’au contraire le consentement du vendeur est profitable à l’acheteur. Combien votre beau-père, par exemple, vous vendra-t-il des terrains ? et si je connais bien sa loyauté, il ne vendra pas malgré lui. D’autres l’imiteront volontiers, pour échanger contre de l’argent des propriétés qui sont l’objet de la haine publique ; ils donneront ce qu’ils ne peuvent guère retenir, afin de recevoir ce qu’ils désirent tant. Voyez donc sur quelle immense échelle ils se disposent à exploiter leurs intolérables privilèges. L’argent pour acheter des terres est amassé ; mais on n’achètera pas malgré les possesseurs. Si les possesseurs sont d’accord pour ne pas vendre, qu’arrivera-t-il ? L’argent sera-t-il rendu au trésor ? La loi ne le permet pas. L’y fera-t-on