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patrimoine de l’empire comme il a traité le sien, en pupille émancipé. Il annonce, dans sa loi, les biens à vendre par les décemvirs ; en d’autres termes, il annonce la vente des domaines de l’État. Il veut qu’on achète des terres pour les distribuer ; il cherche donc de l’argent, et son imagination lui suggérera quelque moyen d’en trouver. Car s’il profanait tout à l’heure la dignité du peuple, s’il appelait sur le nom romain l’exécration du monde, s’il donnait à ses décemvirs nos villes amies, les campagnes des alliés, le trône et la couronne des rois, maintenant c’est de l’argent qu’il cherche, de l’argent sous la main, de l’argent comptant. Voyons donc les expédients de ce tribun actif et subtil. « Vendez, dit-il, la forêt Scantia. » Où trouvez-vous cette forêt, Rullus ? parmi les terres abandonnées ou dans celles affermées par les censeurs ? Si votre instinct scrutateur a fait sortir du sein des ténèbres quelque lambeau de terre, bien qu’il soit injuste que vous le dévoriez, dévorez-le, j’y consens, puisque cela vous plaît, puisque vous êtes l’auteur de la découverte ; mais vendre la forêt Scantia, vous, quand je suis consul, et sous les yeux du sénat ! vous, toucher au moindre de nos revenus ! vous, enlever au peuple romain le dépôt de ses ressources en temps de guerre, de ses magnificences en temps de paix ! Certes, je m’estimerais moi-même un consul plus lâche que mes courageux prédécesseurs du temps de nos ancêtres, si l’on supposait que les richesses acquises au peuple romain sous leur consulat, ne pussent pas même être conservées sous le mien !

II. Rullus vend successivement toutes nos possessions d’Italie ; il n’en omet aucune, et j’admire en cela son exactitude. Il parcourt la Sicile entière sur les registres des censeurs ; pas une habitation, pas un champ ne lui échappent. Vous avez entendu le programme de la vente du peuple romain par un tribun du peuple ; au mois de janvier s’ouvrent les enchères, et je pense que si les citoyens dont la bravoure et les armes ont doté l’État de ces possessions, se sont abstenus de les vendre, c’était, à n’en plus douter, afin que nous les vendissions nous-mêmes et en fissions des largesses.

Maintenant voyez comment ces intrigues prennent une allure moins équivoque. Tout à l’heure je vous signalais la première partie de la loi des décemvirs comme hostile à Pompée ; à présent ils se démasquent eux-mêmes. Ils ordonnent de vendre les terres d’Attalie et d’Olympe, que les victoires du valeureux Servilius ont réunies à la république ; puis les domaines des rois de Macédoine, que nous devons, partie au courage de T. Flamininus, partie à L. Paullus, le vainqueur de Persée ; puis le riche et fertile territoire de Corinthe, dont les produits, grâce au talent militaire et au bonheur de Mummius, ont grossi les revenus du peuple romain ; puis encore les campagnes qui environnent la nouvelle Carthage en Espagne, merveilleuses conquêtes des deux Scipions ; puis enfin la vieille Carthage elle-même que Scipion l’Africain a rasée, et dont il a consacré les ruines à l’impérissable mémoire des hommes, soit pour imprimer un caractère indélébile aux malheurs des Carthaginois, soit pour attester la victoire de Rome, ou pour accomplir quelque vœu religieux. La vente de ces insignes sacrés de l’empire, de ces héritages somptueux de nos pères, une fois consommée, ils font vendre à la suite les anciennes possessions de Mithridate dans la Paphlagonie, dans le Pont et dans la Cappadoce. Est-il douteux enfin qu’ils pour-