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PREMIER DISCOURS.
SUR LA LOI AGRAIRE,
CONTRE RULLUS, DANS LE SÉNAT

DISCOURS QUINZIÈME.


ARGUMENT.

Ces trois discours sont les premiers que prononça Cicéron pendant son consulat. Ils commencent la série des discours consulaires dont Cicéron donne lui-même le catalogue à Atticus (Ep. ad Att. II, 1 ), et dont il lui promet le recueil. De cette série trois sont perdus, les discours sur la loi théâtrale d’Othon, qui assignait à l’ordre équestre un banc distingué aux spectacles ; sur sa démission du gouvernement de sa province ; sur les enfants des proscrits, à qui une loi de Sylla interdisait les honneurs et l’entrée au sénat, mais qu’il était dangereux de rétablir dans leurs droits. Comme œuvre politique, ce dernier discours est à jamais regrettable, en ce qu’il nous eut montré Cicéron. S’inclinant devant les faits accomplis, et combattant une loi conforme à la justice, à l’humanité, et certainement aussi à ses propres sentiments, parce que l’adoption de cette loi, en dépouillant les lâches qui s’étaient enrichis de proscriptions, eut ramené la guerre civile, et fait verser encore des flots de sang.

Ce premier discours sur la Loi Agraire fut prononcé dans le sénat, l’an de Rome 690, le premier jour du consulat de Cicéron. Peu de jours auparavant, P. Servilius Rullus, tribun du peuple, avait proposé une loi agraire, c’est-à-dire, l’établissement d’une partie du peuple indigent dans les terres de l’État. L’intention du tribun était de faire créer un décemviral ou dix commissaires, avec un pouvoir absolu, pendant cinq ans, sur tous les domaines de la république, pour les distribuer aux citoyens, suivant leur volonté on leur caprice ; pour vendre ou acheter comme ils le jugeraient à propos ; pour régler les droits de ceux qui les possédaient ; pour faire rendre compte à tous les généraux, excepté Pompée, de tout le butin qu’ils avaient fait dans les guerres étrangères ; pour établir des colonies dans tous les lieux qu’ils y croiraient propres, et particulièrement à Capoue ; enfin, pour disposer absolument de tous les revenus et de toutes les forces de l’empire.

Une telle loi était une révolution tout entière ; elle causa de vives alarmes, principalement dans l’aristocratie et le sénat, et devint immédiatement l’objet des attaques de Cicéron. Le premier jour de son consulat, il rassure les sénateurs, s’engage devant eux à ne pas souffrir, pendant son administration, la moindre atteinte contre les libertés de l’État, poursuit les tribuns jusqu’au forum, écrase Rullus de son accablante logique, le signale bientôt dans une adroite réplique, comme un indigne calomniateur, et sait si bien ramener à soi les dispositions du peuple, que le tribun lui-même, désespérant du succès, n’osa point présenter sa loi. Il existe au commencement de ce discours une lacune assez considérable. On a perdu les deux premiers feuillets du manuscrit qui a servi de copie à tous les autres.


Lacune considérable.

… Butin, dépouilles, prix de la victoire, les tentes même de Pompée, les decemvirs vendront tout, et Pompée sera spectateur de la vente ? … Toute la Propontide et l’Hellespont seront mis à l’encan ; les côtes communes aux Lyciens et aux Ciliciens viendront ensuite ; la Mysie et la Phrygie subiront la même loi, la même destinée… À ces projets publiquement manifestés d’abord ont succédé les intrigues et les sourdes menées. Les décemvirs diront ce que beaucoup de gens ont souvent déjà dit et ce qu’ils disent encore, à savoir, que depuis les mêmes consuls, le royaume de Ptolémée est devenu, par le testament de ce prince, l’héritage du peuple romain. Accordez-vous donc Alexandrie aux sollicitations secrètes de ceux dont vous avez repoussé les exigences publiques ? Par les dieux immortels ! sont-ce là, sénateurs, des inspirations d’hommes à jeun, ou des hallucinations de gens ivres, des pensées de sages, ou des désirs de fous ?

Mais voyez, dans l’article suivant, comment ce dissipateur impur introduit le désordre dans la république, comment il livre à la dispersion et à la ruine les domaines de nos ancêtres, traitant le