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maintenant, pour ces juges qui l’interrogeraient, pour ce grand jour qui réclame sa présence. Quant à Straton, apprenez, juges, qu’il a expiré sur une croix, après avoir eu la langue coupée : c’est un fait connu de tous les habitants de Larinum. Cette femme forcenée a craint, non pas la voix de sa conscience, ni la haine de ses compatriotes, ni la malédiction publique ; elle a craint, comme si la terre entière ne pouvait pas déposer de ses forfaits, d’être condamnée par les dernières paroles d’un esclave mourant.

Ô prodige d’inhumanité ! ô comble d’horreur et de scélératesse ! quel est ce monstre barbare, grands dieux ! et dans quel antre sauvage a-t-il reçu le jour ? Vous le voyez à présent, juges ; ce n’est point sans de fortes raisons et une indispensable nécessité que, dès le commencement de ce discours, j’ai fait entendre ici le nom d’une mère. Je le répète : il n’est pas de mal que cette mère n’ait de tout temps voulu à son fils, pas de crime qu’elle n’ait conçu, préparé, exécuté pour le perdre. Je ne rappellerai pas le premier de tous ses outrages, sa flamme incestueuse, son horrible union avec son gendre, sa fille chassée du lit nuptial par la passion effrénée d’une mère : opprobre domestique qui faisait rougir le front de Cluentius, mais qui ne mettait pas encore ses jours en péril. Je ne me plaindrai pas de son autre mariage avec Oppianicus, dont elle exigea, en échange de sa main, la mort de ses enfants, peu contente si elle ne mettait, par son hymen, une famille en deuil, et ses beaux-fils au tombeau. Je ne dirai pas qu’insensible au malheur d’Aurius Mélinus, jadis son gendre, naguère son mari, qu’Oppianicus venait de faire proscrire et assassiner, elle ne craignit pas de choisir, pour y goûter les douceurs de ce nouvel hyménée, une maison où tout montrait chaque jour à ses yeux le sang et les dépouilles de son dernier époux. Le premier attentat que je lui reprocherai, c’est ce fait, si bien avéré maintenant, du poison préparé par Fabricius : crime qui, dans le premier moment, paraissait douteux au public, incroyable à Cluentius, mais qui aujourd’hui est porté au dernier degré d’évidence et de certitude. Non, cette mère n’ignora point l’attentat médité contre son fils ; Oppianicus n’imagina rien que de concert avec elle. S’il en était autrement, certes on l’aurait vue, dès que le crime fut découvert, s’éloigner d’Oppianicus, non comme on quitte un mauvais époux, mais comme on fuit un mortel ennemi ; on l’aurait vue dire un éternel adieu à cette maison, repaire de tous les forfaits. Mais non ; bien loin de rompre avec le crime, elle n’a pas négligé, depuis ce temps, une seule occasion de dresser des embûches à son fils. Cette seule idée, perdre son fils, a rempli toutes ses journées, occupé toutes ses nuits, exercé toutes les puissances de son âme. Et d’abord, pour lui trouver un accusateur sur lequel elle pût compter, elle s’est assurée du jeune Oppianicus, en le comblant de présents, en lui donnant la main de sa fille, en lui faisant espérer son héritage.

LXVII. Quand des inimitiés viennent troubler la paix des familles, on voit souvent éclater des divorces et se dissoudre des alliances ; Sassia, cherchant un accusateur à son fils, n’en trouve qu’un seul d’assez sûr, celui qui, avant d’accuser le frère, aura d’abord épousé la sœur. Sou-