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fée par le crime, éclate malgré lui, par la seule raison que le génie de la ruse n’est pas toujours secondé par celui de l’audace, ou que l’audace la plus téméraire et la plus effrénée est quelquefois privée des conseils de la ruse. Oui, si la ruse était audacieuse, ou que l’audace fût rusée, elles porteraient des coups inévitables. Est-ce qu’il n’y aurait pas eu de vol ? mais aucun événement ne fit plus de bruit à Larinum. Est-ce que le soupçon ne tombait pas sur Straton ? mais l’instrument de son crime et les révélations de l’enfant l’accusaient hautement. Est-ce que l’interrogatoire n’eut point ce vol pour objet ? quel autre objet pouvait-il donc avoir ? Prétendrez-vous, comme vous êtes obligés de le faire, et comme Sassia le répétait alors, qu’interrogé sur le vol, Straton révéla dans les tourments le fait de l’empoisonnement ? Voilà précisément, juges, ce que je disais tout à l’heure : cette femme est riche d’audace, mais elle manque de jugement et de réflexion. On produit plusieurs interrogatoires écrits, qui vous ont été lus et mis sous les yeux. Ce sont ces pièces que je vous ai dit ne porter aucune signature. Il n’y est pas même fait mention du vol. Il n’est pas venu dans l’esprit de cette femme de prêter à Straton une première déclaration sur le vol, et d’ajouter ensuite, sur le poison, quelques mots qui auraient paru moins provoqués par ses questions, qu’arrachés par la douleur. C’est d’un vol qu’on informe, le précédent interrogatoire ayant détruit tout soupçon d’empoisonnement ; et Sassia elle-même en avait jugé ainsi, puisque de l’avis de ses amis elle avait cessé les poursuites commencées à Rome, et que depuis trois années, distinguant Straton parmi tous ses esclaves, elle lui avait prodigué les marques de son attachement et de sa générosité. On informe donc d’un vol, et d’un vol dont cet homme est évidemment coupable ; et il ne dit pas un mot du fait sur lequel on l’interroge ! L’empoisonnement, il le révèle aussitôt ; et le vol, qu’il aurait dû confesser avant tout, il n’en ouvre la bouche, ni à la fin, ni au milieu, ni dans aucune partie de son interrogatoire !

LXVI. Vous le voyez, juges, cette femme barbare a tracé ce faux interrogatoire de la même main dont elle égorgerait son fils, si elle en avait le pouvoir. Et ce prétendu interrogatoire, répondez encore, qui l’a signé ? Nommez un seul témoin. Vous n’en trouverez pas un, si ce n’est peut-être celui dont j’aimerais encore mieux voir la signature que de n’en voir aucune. Que dites-vous, Attius ? vous viendrez, tenant à la main une pièce accusatrice, dénoncer un crime et demander à la justice la tête d’un citoyen ; et vous ne produirez aucune signature, aucun témoignage qui donne à cette pièce un caractère authentique ! Et cette atroce conception, éclose au sein d’une mère pour la perte d’un fils innocent, les juges qui m’écoutent en assureraient le succès ! Soit ; la pièce produite n’a rien d’authentique ; mais l’interrogatoire, pourquoi l’avoir fait subir sans l’intervention de la justice ? pourquoi, sans les amis et les hôtes d’Oppianicus, qui avaient été appelés la première fois ? pourquoi, sans attendre le moment même de ces débats ? Que sont devenus les deux esclaves Straton et Nicostrate ? C’est à vous que je le demande, Caïus : qu’est devenu votre esclave Nicostrate ? Résolu, comme vous l’étiez, d’accuser bientôt Cluentius, vous deviez l’amener à Rome, provoquer ses révélations, le garder pour la question qu’il subirait