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çons. C’est assurément le plus monstrueux de tous les prodiges, qu’un être revêtu de la forme humaine soit assez féroce pour ravir la lumière à qui lui donna le jour, tandis que les monstres des forêts s’attachent par instinct aux animaux qui leur ont donné la vie et la nourriture.

XXIII. On rapporte qu’il y a quelques années, T. Célius, citoyen honnête de Terracine, s’étant retiré le soir dans une chambre avec ses deux fils, alors adolescents, fut trouvé le lendemain égorgé dans son lit. Nul homme libre ou esclave ne pouvait être soupçonné de cet assassinat ; les jeunes gens, qui avaient passé la nuit auprès de lui, disaient ne s’être aperçus de rien : ils furent accusés de parricide. Assurément les soupçons étaient fondés. Quelle apparence que ni l’un ni l’autre n’eussent rien aperçu ? qu’un homme eut risqué de s’introduire dans cette chambre, surtout au moment où il pouvait être aisément entendu et repoussé par les deux jeunes gens qui s’y trouvaient avec leur père ? Ajoutez enfin que les soupçons ne pouvaient tomber sur aucun autre. Cependant, après que les juges se furent assurés qu’en ouvrant les portes on les avait trouvés endormis, ils furent renvoyés absous. On n’imaginait pas qu’un homme après avoir violé toutes les lois divines et humaines par le plus horrible des forfaits, pût aussitôt se livrer au sommeil, parce que ceux qui ont commis un tel attentat, loin de pouvoir reposer sans inquiétude, ne peuvent même respirer sans frayeur.

XXIV. Nous lisons dans les poètes, que pour venger un père, des fils ont puni eux-mêmes une mère criminelle. Ils ne l’ont fait que pour obéir à l’ordre et aux oracles des dieux immortels : cependant, vous voyez comme les Furies les poursuivent, sans permettre qu’ils s’arrêtent en aucun lieu, parce qu’ils ont outragé la nature, alors même qu’ils l’ont vengée ? Oui, telle est la force du sang paternel et maternel, telle est l’intimité de ses liens, telle est la sainteté de ses droits, que celui qui s’est souillé d’une seule goutte de ce sang précieux, n’en peut jamais effacer la tache : elle pénètre jusqu’à l’âme ; elle y porte un trouble et un délire affreux. Car, ne croyez pas que les impies et les scélérats soient, comme vous le voyez sur nos théâtres, poursuivis en effet, qu’ils soient effrayés par les torches ardentes des Furies. Le crime du coupable et ses propres terreurs font son plus cruel supplice. Ce sont ses forfaits qui l’agitent et qui troublent sa raison ; ce sont les remords cuisants et les cris de sa conscience qui jettent l’épouvante dans son âme. Voilà les Furies qui s’attachent aux impies, qui les suivent partout, et qui vengent, jour et nuit la nature outragée par des fils scélérats. L’énormité de ce crime fait qu’il n’est pas croyable, à moins qu’il ne soit presque évident, et qu’on ne voie dans l’accusé une jeunesse livrée au vice, une vie souillée d’opprobres, des dépenses prodiguées pour la débauche et l’infamie, une audace effrénée, une inconséquence de conduite qui tienne de la folie. Il faut encore qu’on aperçoive la haine du père, la crainte de l’animadversion paternelle, des amis sans honneur et sans foi, des esclaves complices, un moment favorable, un lieu propre au crime. J’oserais dire