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qu’on m’accuse de tout dire en feignant de me taire. Les faits vont parler. Ce jeune homme, selon vous, tomba mort après avoir bu. Je soutiens, moi, qu’il ne mourut pas le même jour. Voilà déjà un impudent et audacieux mensonge : écoutez le reste. Je soutiens que Balbutius vint à ce repas, déjà mal disposé, et que, par une imprudence trop ordinaire à cet âge, ne s’étant pas assez ménagé, il tomba malade et mourut au bout de quelques jours. — Qui dépose de ce fait ? Celui qui dépose en même temps de sa profonde douleur, son père. Oui, ce père inconsolable, que le moindre soupçon aurait pu placer sur le banc des accusateurs, vient lui-même attester l’innocence de l’accusé. Greffier, lisez sa déposition. Et vous, père infortuné, si la douleur vous le permet, levez-vous un moment. Ayez le courage d’entendre une lecture qui vous rappellera des souvenirs déchirants, mais qui est nécessaire. J’abrégerai cette cruelle épreuve. Vous avez rempli le devoir d’un homme de bien ; vous n’avez pas voulu que votre malheur fournît des armes à la calomnie, et causât la perte d’un innocent. ON LIT LA DÉPOSITION DE BALBUTIUS.

LXI. Il me reste, juges, à réfuter un dernier chef d’accusation, qui va mettre dans le plus grand jour une vérité que j’ai énoncée en commençant : c’est que tous les maux dont Cluentius a fait depuis quelques années la triste expérience, tout ce qu’il éprouve encore aujourd’hui de persécutions et d’alarmes, tout, dis-je, est l’ouvrage de sa mère. Oppianicus, dites-vous, est mort empoisonné. Le poison lui a été donné dans du pain par M. Asellius son ami, et c’est Cluentius qui est l’auteur du complot. Je demanderai d’abord quel motif avait Cluentius d’attenter aux jours d’Oppianicus ? J’avoue qu’il existait entre eux d’anciennes inimitiés ; mais, si on désire la mort de son ennemi, c’est parce qu’on le craint ou parce qu’on le hait. Et quelle crainte pouvait donc engager Cluentius à commettre un tel crime ? que pouvait-on redouter encore d’Oppianicus, portant, dans un honteux exil, la peine de ses forfaits ? les attaques d’un ennemi terrassé ? les accusations d’un condamné ? les dépositions d’un banni ? Si c’est par haine qu’il n’a pas voulu le laisser vivre, était-il donc assez fou pour donner le nom de vie à la malheureuse existence d’un criminel retranché de la société, repoussé du monde entier, d’un méchant si décrié par la noirceur de son âme, que personne n’aurait voulu ni le recevoir sous son toit, ni l’aborder, ni lui adresser la parole, ni même le regarder ? Et c’est d’une telle vie que Cluentius aurait été jaloux ! Lui eût-il voué la haine la plus cruelle et la plus implacable, il devait lui souhaiter de subir longtemps une semblable vie. Un ennemi eût hâté le trépas de celui qui n’avait, dans l’excès de sa misère, d’autre asile que le trépas ! Eh ! si ce grand coupable eût eu dans l’âme un peu de cette force dont plus d’un homme courageux a fait preuve dans de pareilles infortunes, c’est lui-même qui se serait donné la mort. Pourquoi un ennemi lui eût-il offert ce qu’il devait appeler de tous ses vœux ? Car enfin, quel mal la mort a-t-elle pu lui faire ? à moins qu’ajoutant foi à des fables puériles, nous ne pensions qu’il souffre dans les enfers les supplices des scélérats ; qu’il y a trouvé plus d’ennemis qu’il n’en a laissé sur la terre ; que les mânes irrités de sa belle-mère,