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tout ce que vous avez dit sur la condamnation d’Oppianicus, vous êtes forcé de convenir que vous étiez dans une grande erreur, en pensant qu’au lieu de justifier mon client, j’opposerais à votre accusation une fin de non-recevoir. Car, à en croire ce que vous avez dit souvent, on vous avait assuré que j’avais dessein d’invoquer pour toute défense les termes de la loi. Quoi donc ! serions-nous, sans nous en douter, trahis par nos amis ? et parmi ceux que nous croyons dignes de ce titre, y en aurait-il d’assez perfides pour révéler à nos adversaires nos secrètes intentions ? Qui vous a fait cette confidence ? quel homme a été capable d’une telle noirceur ? Et moi-même, à qui ai-je confié ce secret ? Personne, je pense, ne mérite de reproche : c’est la loi elle-même qui vous a si bien instruit. Mais, dans tout mon plaidoyer, trouvez-vous que j’aie fait mention de cette loi ? Aurais-je autrement défendu Cluentius, quand même elle serait armée contre lui de toute sa rigueur ? Je l’affirme, autant qu’il est permis à un homme de le faire : je n’ai rien omis de tout ce qui pouvait le justifier d’une odieuse imputation. Mais quoi ! me dira quelqu’un, avez-vous donc quelque répugnance à profiter, pour sauver un accusé, d’une loi qui lui est favorable ? Non, juges, je n’en ai aucune ; mais je suis fidèle à mes principes. Lorsque je défends un homme honnête et délicat, je ne prends point conseil de moi seul ; je me fais un devoir de déférer aux intentions et à la volonté de celui qui m’a chargé de sa cause. La première fois qu’on m’apporta celle-ci, instruit, comme je dois l’être, des lois pour lesquelles on a recours à nous, et sur lesquelles nous parlons tous les jours, je dis aussitôtà Cluentius que l’article QUICONQUE SE SERA LIGUÉ POUR FAIRE CONDAMNER UN ACCUSÉ, ne lui était pas applicable ; qu’il ne regardait que l’ordre des sénateurs. Alors il me pria instamment de ne point faire valoir en sa faveur cette exception de la loi. Je lui dis tout ce que je crus nécessaire ; mais il finit par m’entraîner à son avis, en m’assurant, les larmes aux yeux, que, s’il était jaloux de rester dans sa patrie, il l’était encore plus de conserver son honneur. Je me rendis à ses désirs ; et cependant si je m’y rendis (car nous ne devons pas toujours céder à l’opinion de nos clients), c’est que la cause m’offrait par elle-même, sans que j’eusse besoin de recourir à la loi, une foule de moyens victorieux. Je voyais, dans le plan que j’ai suivi, beaucoup plus de dignité ; dans celui qu’il ne m’a pas permis de suivre, beaucoup moins de difficultés. S’il ne s’était agi que de gagner cette cause, j’aurais lu la loi, et mon discours était fini.

LIII. En vain Attius aurait-il cru m’arrêter en prétendant, comme il le fait, qu’un sénateur qui a contribué frauduleusement à la perte d’un accusé ne peut sans une injustice criante être atteint par la loi, tandis qu’un chevalier romain coupable du même crime en est affranchi. Si je vous accorde que c’est une injustice (question que nous allons bientôt discuter), vous m’accorderez à votre tour qu’il est bien plus injuste encore de s’écarter des lois dans un État qui ne subsiste que par les lois. Ce sont elles qui nous assurent la jouissance de nos droits politiques ; elles sont le fondement de la liberté, la source de toute justice. En elles résident l’âme, l’esprit, le conseil, la pensée de la république. La loi est au corps so-