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indécence il a prononcé son accusation. Sans doute qu’après avoir jeté les yeux sur les bancs que nous occupons, il a demandé si tel ou tel de ces orateurs défendrait l’accusé. Il n’aura pas même pensé à moi, par la raison que je n’ai point encore parlé dans une cause publique. Certain qu’il n’aurait pour adversaire aucun de ceux qui ont le talent et l’habitude de la parole, il s’est mis à l’aise. Vous l’avez vu s’asseoir, marcher, quelquefois même appeler un esclave, apparemment pour commander son repas. En votre présence, en présence de cette assemblée respectable, il agissait comme s’il n’avait personne autour de lui.

XXII. Enfin il a conclu : il s’est assis : je me suis levé : il a semblé satisfait que ce ne fût pas un autre que moi. Pendant que je parlais, j’ai observé qu’il plaisantait et s’occupait de tout autre chose, jusqu’au moment où j’ai nommé Chrysogonus. Tout à coup il s’est dressé : il a paru s’étonner. J’ai senti pourquoi : j’ai répété ce nom une seconde, une troisième fois. Alors des émissaires empressés n’ont cessé de passer et de repasser. Sans doute ils allaient avertir Chrysogonus qu’il se trouve dans Rome un homme assez hardi pour résister à ses volontés ; que la cause est traitée autrement qu’il ne l’avait pensé ; que l’achat des biens est dévoilé et l’association très maltraitée ; que son crédit et sa puissance ne sont pas redoutés ; que les juges écoutent, et que le peuple s’indigne.

Vos espérances ont été déçues, et vous voyez, Érucius, que tout a changé de face ; que la cause de Sextus est plaidée, sinon avec éloquence, du moins avec courage. Vous pensiez qu’il était abandonné ; on ose le défendre : que les juges le livreraient sans examen ; ils veulent prononcer un arrêt équitable. Faites donc reparaître cette habileté et cette prudence qui vous distinguèrent autrefois. Avouez-le, vous comptiez trouver ici des assassins et non des juges. Il est question d’un parricide, et l’accusateur n’a pas dit pourquoi un fils a tué son père.

Lorsqu’il s’agit d’un simple délit, de quelqu’une de ces contraventions qui sont communes et presque journalières, on examine avant tout quelle en a pu être la cause. Érucius ne croit pas qu’on doive le faire quand il est question d’un parricide, d’un attentat, où, lors même qu’une foule de motifs paraissent se réunir et concourir ensemble, on ne croit pas légèrement, on ne se décide pas sur de faibles conjectures, on n’écoute pas un témoin incertain ; les talents de l’accusateur ne déterminent pas l’opinion des juges ; il est nécessaire qu’on prouve que plusieurs crimes ont précédé ce crime, et que l’accusé est un homme perdu de mœurs ; qu’on montre en lui une audace extrême : que dis-je ? l’excès de la fureur et de la démence : cela ne suffit pas encore ; il faut qu’il existe des traces manifestes du crime, et qu’on voie en quel lieu, de quelle manière, par quel bras, en quel temps il a été commis. Si ces preuves ne sont en grand nombre, si elles ne sont évidentes, on ne peut se résoudre à croire une action aussi impie, aussi atroce, aussi abominable.

En effet, les droits de l’humanité sont bien puissants ; les liens du sang ont une grande force ; la nature elle-même repousse ces horribles soup-