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aucune faute qu’ils aient remarquée dans tout le cours de sa vie ; car il est impossible de trouver un homme plus intègre, plus délicat, plus scrupuleux observateur de toute espèce de devoir. Les censeurs même ne prétendent pas le contraire ; mais tout le monde parlait de juges corrompus, et ils s’en sont tenus à l’opinion commune. Ils pensent de sa modestie, de sa probité, de son mérite, ce que nous désirons qu’on en pense ; mais, après avoir sévi contre les juges, ils ont cru impossible d’épargner l’accusateur. Ici j’emprunterai à l’antiquité tout entière un seul exemple, et je n’en dirai pas davantage. C’est un trait de Scipion l’Africain, et je ne puis négliger l’autorité d’un si grand homme. Pendant qu’il était censeur et qu’il faisait la revue des chevaliers romains, au moment où C. Licinius Sacerdos passa devant lui, il dit à haute voix et de manière à être entendu de toute l’assemblée, qu’il savait que Sacerdos avait commis un parjure dans toutes les formes ; que, si quelqu’un voulait se porter pour accusateur, il servirait de témoin. Personne ne répondant à cet appel, il le laissa passer avec son cheval. Ainsi ce grand homme, au jugement duquel le peuple romain et les nations étrangères s’en remettaient avec confiance, ne voulut point s’en rapporter à sa propre conviction pour prononcer le déshonneur d’un citoyen. S’il eût été permis aussi à Cluentius de se justifier, certes les censeurs même qui l’ont noté l’auraient vu dissiper facilement d’injurieux soupçons, et triompher des passions populaires soulevées contre lui.

Il est encore une objection qui me trouble beaucoup, et à laquelle il me semble difficile de trouver une réponse ; c’est l’extrait que vous avez lu du testament de Cn. Egnatius le père, homme assurément plein d’honneur et de sagesse, d’où il résulte qu’il a déshérité son fils, pour avoir vendu son suffrage contre Oppianicus. Je ne m’étendrai point sur la légèreté et l’inconséquence de cet homme. Dans le testament même que vous citez, on le voit tout à la fois priver de son héritage un fils qu’il hait, et donner des étrangers pour cohéritiers à un autre fils qu’il aime. Mais vous, Attius, dites-nous, je vous prie, lequel des deux jugements vous voulez qu’on respecte, celui des censeurs ou celui d’Egnatius ? Si c’est celui d’Egnatius, la note des censeurs contre les autres juges perd son autorité ; car ils ont chassé du sénat ce même Egnatius, dont l’autorité est si respectable selon vous. Si c’est celui des censeurs, en chassant le père du sénat, ils y ont maintenu ce fils que la censure paternelle avait flétri en le déshéritant.

XLIX. Tout le sénat, dites-vous, a déclaré que le jugement d’Oppianicus était l’œuvre de la corruption. Comment ? — En prenant connaissance de la cause. — Mais pouvait-il repousser une communication de cette nature ? Lorsqu’un tribun, en soulevant le peuple, avait presque mis la force à la place des lois ; lorsqu’on accusait des juges corrompus d’avoir condamné le plus honnête et le plus innocent des hommes ; lorsque tout l’ordre des sénateurs était en butte aux clameurs de l’envie, pouvait-on garder le silence ? pouvait-on, sans mettre la république en péril, rester indifférent à ces agitations populaires ? Mais quelle justice, quelle sagesse, quelle circonspection dans le décret du sénat ! S’IL EST QUELQU’UN, dit-il, DONT LES MANŒUVRES COUPABLES AIENT ESSAYÉ DE CORROMPRE LES JUGES D’UN TRIBUNAL PU-