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juge prévaricateur ! S’il fallait appliquer aux actes de la censure les principes de la justice militaire, au moins fallait-il aussi tirer véritablement au sort. Mais si un censeur ne doit pas rendre le sort arbitre des châtiments, ni abandonner les crimes des hommes au jugement de la fortune, certes il ne doit pas non plus, dans un grand nombre de coupables, en choisir quelques-uns, pour les condamner arbitrairement à l’opprobre et au déshonneur.

XLVII. Mais nous comprenons tous que les notes des censeurs ne furent qu’un hommage rendu à l’opinion dominante. Un tribun séditieux avait fait de ce procès le sujet de ses déclamations ; la cause n’était point éclaircie, et l’on regardait comme un axiome qu’il ne faut jamais contredire la voix du peuple ; enfin personne ne se prononçait en faveur de l’opinion contraire. Or, les jugements des sénateurs étaient universellement décriés. Car peu de mois après, un nouveau scandale, causé par des bulletins marqués de signes de reconnaissance, était venu les décréditer encore. Il paraissait impossible que les censeurs fermassent les yeux sur cet avilissement de la justice. Ils voyaient deux juges diffamés par d’autres vices et déjà couverts d’opprobres ; ils voulurent leur imprimer cette nouvelle flétrissure, d’autant plus que c’était dans ce temps-là même, et pendant leur censure, que les chevaliers avaient été appelés à partager les fonctions de juges. En flétrissant des hommes si dignes de cet affront, les censeurs semblaient joindre l’ascendant de leur autorité à la voix de l’ordre équestre, pour condamner les anciens tribunaux. S’il m’avait été permis à moi ou à tout autre de plaider cette cause devant ces censeurs eux-mêmes, j’aurais facilement prouvé à des hommes aussi éclairés, et la chose seule le dit assez, qu’ils n’avaient aucun indice certain, aucun fait démontré, et qu’un secret désir de popularité et d’applaudissements leur a seul dicté ces ordonnances sévères. — Mais Gellius nota un autre des juges, P. Popillius, comme ayant vendu son suffrage pour condamner un innocent. — D’abord quel art plus qu’humain n’a-t-il pas fallu à Gellius pour deviner l’innocence d’un accusé qu’il n’avait peut-être jamais vu, tandis que, sans parler des voix qui le condamnèrent, des hommes d’une sagesse supérieure ont déclaré, après l’instruction du procès, que leur conscience n’était pas suffisamment éclairée !

Mais soit. Gellius condamne Popillius ; il prononce qu’il a reçu de l’argent de Cluentius. Lentulus prétend le contraire. S’il n’admet point Popillius dans le sénat, c’est parce qu’il est fils d’un affranchi. Du reste il lui laisse dans les jeux publics son rang parmi les sénateurs ; il lui conserve ses autres prérogatives, et il l’affranchit de toute ignominie. Par cette décision, il déclare que Popillius a condamné Oppianicus sans être gagné. Ce même Popillius fut ensuite accusé de brigue, et Lentulus fit de lui comme témoin un éloge complet. Si donc il est vrai que Lentulus ne souscrivit point à la décision de Gellius, et que celui-ci ne fut point arrêté par l’opinion de son collègue, enfin si les deux censeurs ne crurent pas devoir respecter le jugement l’un de l’autre, quelle raison pourrions-nous avoir de regarder tous les actes de cette magistrature comme des arrêts définitifs et irrévocables ?

XLVIII. Leur sévérité, dit-on, s’est étendue jusque sur Cluentius. Au moins n’est-ce pour aucune bassesse, pour aucun vice, ni même pour