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bunaux négligées par les magistrats, changées par les successeurs, ou contredites par les collègues de ceux qui les ont rendues ?

XLIV. Ces principes une fois reconnus, voyons à présent ce que les censeurs ont prononcé sur la corruption des juges d’Oppianicus, et d’abord entendons-nous sur un point essentiel : Le fait est-il constant parce que les censeurs l’ont noté ? ou l’ont-ils noté parce qu’il est constant ? Si c’est la censure qui prouve le délit, prenez-y garde ; vous allez donner aux censeurs sur chacun de nous un pouvoir despotique ; leurs notes vont devenir aussi funestes aux citoyens que les tables sanglantes des proscriptions ; et ce stylet dont ils tracent leurs arrêts, et dont nos ancêtres ont émoussé la pointe par tant de sages règlements, deviendra dans leurs mains une arme aussi redoutable que le glaive du dictateur. Mais si la note des censeurs n’a de poids qu’autant qu’elle porte sur un fait réel, voyons si celui-ci est réel ou supposé. Mettons à l’écart l’autorité des censeurs ; retranchons de la cause ce qui ne tient point à la cause. Dites-nous quel argent Cluentius a donné, où il l’a pris, comment il l’a donné. Montrez enfin quelque trace d’argent sorti des mains de Cluentius. Prononcez ensuite qu’Oppianicus fut un homme d’honneur et de probité ; que jamais l’opinion publique ne lui reprocha rien ; qu’aucun arrêt n’avait préjugé sa condamnation. Alors faites valoir l’autorité des censeurs ; alors soutenez que leurs décisions ont quelque rapport à ce procès. Mais tant qu’il sera constant qu’Oppianicus a altéré les registres publics de la ville qu’il habitait ; qu’il a falsifié un testament ; qu’à l’aide d’une supposition de personne, il en a fait sceller un autre entièrement faux ; qu’il a tué celui dont on avait apposé le nom sur cet acte frauduleux ; qu’il a fait assassiner dans les fers l’oncle maternel de son fils, qu’il a fait proscrire et mettre à mort ses compatriotes ; qu’il a épousé une femme dont il venait d’égorger le mari ; qu’il en a payé une autre pour étouffer le fruit qu’elle portait en son sein ; qu’il a empoisonné sa belle-mère, son épouse, la femme de son frère et avec elle l’enfant à qui elle allait donner le jour, son frère lui-même, enfin ses propres enfants ; qu’au moment où il préparait du poison pour le fils de sa femme, il a été pris en flagrant délit ; que cité en justice après la condamnation des deux ministres de son crime, il a donné à l’un des juges une somme destinée à corrompre les autres ; tant que ces faits resteront constants, et qu’aucun indice ne prouvera que Cluentius ait, de son côté, eu recours à l’argent, quel avantage prétendez-vous tirer d’une décision arbitraire, ou d’une simple opinion des censeurs, pour le triomphe de votre cause et la perte d’un innocent ?

XLV. Quel motif a donc déterminé les censeurs ? Eux-mêmes, pour citer l’autorité la plus imposante, n’en allégueront pas d’autre que le bruit public et la renommée. Ils diront que rien ne leur a été démontré, ni par des témoins, ni par des pièces, ni par aucune preuve solide, enfin qu’ils n’ont éclairci aucun fait ; et quand même ils en auraient pris la peine, leur décision ne serait pas tellement irrévocable qu’on ne pût l’attaquer. Je ne me prévaudrai point des exemples qui se présentent en foule ; je ne citerai point un fait ancien, ni un homme puissant ou en crédit. Je défendais dernièrement un citoyen obscur, un