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juge corrompu ; pourquoi, avec des accusateurs si nombreux et encouragés par tant de récompenses, les autres sont-ils restés sans poursuite ? Ici l’on allègue un acte qui n’est point un jugement : c’est que dans l’appréciation de la peine encourue par Septimius Scévola, on eut égard au crime de corruption. Je n’ai pas besoin de rappeler longuement à des juges aussi éclairés que vous l’usage suivi dans cette partie des procès. Jamais les juges ne portent, dans les actes qui suivent la condamnation de l’accusé, l’exactitude rigoureuse qui dirige le reste de la procédure. Quand il s’agit d’arbitrer la peine, il peut arriver deux choses : ou ils considèrent comme un ennemi personnel l’homme qu’ils ont une fois condamné, et à ce titre, si la peine requise contre lui menace son existence, ils se font scrupule de la lui infliger ; ou, croyant leur devoir rempli dès qu’ils ont prononcé sur le fait, ils ne donnent plus au reste qu’une légère attention. Aussi a-t-on vu souvent des accusés échapper à un jugement de lèse-majesté, parce qu’après leur condamnation on leur avait appliqué la peine des simples concussionnaires ; et nous voyons tous les jours les mêmes juges qui ont condamné un concussionnaire, absoudre ensuite ceux qu’ils ont reconnus, en évaluant les restitutions, pour les recéleurs de ses vols. En agissant ainsi, l’on n’attaque pas l’autorité de la chose jugée, on décide seulement que l’appréciation de la peine n’est pas un jugement. Scévola fut condamné pour des faits étrangers à celui de corruption ; il le fut sur la déposition d’une foule d’habitants de l’Apulie. Il n’y eut pas d’efforts qu’on ne fît pour rendre sa condamnation capitale. Si l’arbitration que les juges firent de la peine avait force de jugement, les mêmes ennemis, ou d’autres à leur défaut, n’auraient pas manqué de s’en prévaloir pour l’attaquer de nouveau aux termes mêmes de la loi qui concerne les juges corrompus.

XLII. Viennent ensuite des actes que nos adversaires qualifient de jugements, quoique nos ancêtres ne les aient jamais ni appelés de ce nom, ni respectés à l’égal de la chose jugée : je veux dire les exemples de sévérité donnés par les censeurs. Avant d’entamer cette partie de mon sujet, je dois dire quelques mots des obligations que m’imposent d’un côté le salut de l’accusé, et de l’autre les justes égards dus aux convenances et à l’amitié ; car les illustres citoyens qui exercèrent en dernier lieu la censure sont tous deux mes amis. Je suis même, comme le savent la plupart d’entre vous, étroitement lié avec l’un d’eux, et cette liaison est fondée sur des services réciproques. Ainsi tout ce que j’aurai à dire des actes de leur censure, je le dirai avec l’intention qu’on y voie bien moins un examen de ce qu’ils ont fait, que des réflexions générales sur l’autorité des censeurs. Quant à Lentulus, mon intime ami, que je nomme ici avec tout le respect dû à son rare mérite, et aux dignités éminentes dont le peuple romain l’a revêtu, il consentira sans peine, juges, qu’imitant ce dévouement sans bornes, et cette courageuse franchise qu’il a coutume de déployer lui-même dans la défense de ses amis, j’ose énoncer des vérités que je ne puis taire sans danger pour mon client. Toutefois je ne m’avancerai qu’avec précaution, et je saurai satisfaire à ce que ma cause exige, sans blesser l’honneur de personne, ni manquer aux lois de l’amitié.

Je vois donc que les censeurs ont sévi contre quelques-uns des juges qui siégèrent avec Junius,