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régner dans les jugements, et quel respect se doivent à eux-mêmes les organes de la justice ? qui le surpassa jamais en vertus, en lumières, en autorité ? Il n’a pas absous Oppianicus. Il serait trop long de faire de chacun d’eux un éloge particulier ; leurs grandes qualités sont trop connues pour avoir besoin de panégyrique. Pourrais-je louer dignement un M. Juventius Pédo, ce ferme soutien des antiques maximes ; un Caulius Mergus, un M. Basilus, un C. Caudinus, qui tous firent éclater leur justice dans les jugements publics, quand la république elle-même avait déjà recouvré sa splendeur ? tant de noms illustres il faut ajouter L. Cassius et Cn. Héius, deux hommes en qui brillèrent la même prudence et la même intégrité. Pas un d’eux n’a absous Oppianicus. Le plus jeune de tous, qui d’ailleurs ne le cédait à aucun de ceux que j’ai nommés, pour les lumières, la délicatesse et l’amour du devoir, P. Saturius, ne l’a pas absous davantage. Ô merveilleuse innocence d’Oppianicus ! On suppose à celui qui l’absout des vues intéressées ; on loue la circonspection de celui qui diffère ; on admire la fermeté de principes de celui qui le condamne.

XXXIX. Voilà des vérités qui, dans le temps où Quintius agitait les esprits, ne furent proclamées ni devant le peuple, ni devant les tribunaux. Quintius ne souffrait point qu’on élevât la voix ; et assailli par une multitude égarée, aucun orateur n’eût pu résister à la tempête. Dans cet état de choses, après la catastrophe de Junius, le tribun abandonna personnellement toute cette affaire ; car au bout de quelques jours, lui-même rentra dans la condition privée, et il sentait d’ailleurs que la première chaleur des esprits commençait à se refroidir. Si, dans les jours orageux où il accusa Junius, il avait voulu aussi accuser Falcula, Falcula n’aurait pu ouvrir la bouche pour se justifier. Et on le vit d’abord menacer tous ceux qui avaient voté contre Oppianicus. Vous connaissiez, juges, l’insolence de Quintius ; vous connaissiez son audace et ses prétentions tribunitiennes. Quelle morgue, dieux immortels ! quel orgueil ! quelle présomption d’un homme qui se méconnaît ! quelle odieuse et insupportable arrogance ! Il alla jusqu’à s’indigner (et ce fut là le signal et la cause de tous les orages) qu’on n’eût pas fait grâce à Oppianicus, par égard pour un défenseur tel que lui ; comme si le choix d’un tel défenseur n’était pas un signe certain que l’accusé était délaissé de tout le monde. En effet, il y avait à Rome une foule d’orateurs aussi distingués par leur haut rang que par leur éloquence, qui n’auraient pas refusé de défendre un chevalier romain, l’un des premiers de sa ville, si aucun d’eux avait pensé que l’honneur permît d’embrasser une telle cause.

XL. Mais Quintius, quelle cause avait-il jamais plaidée, quoiqu’il fût alors âgé de cinquante ans ? l’avait-on jamais vu prêter à un accusé l’appui, je ne dis pas de sa voix, mais de son témoignage ou même de sa présence ? La tribune, longtemps abandonnée, ne retentissait plus, depuis l’arrivée de Sylla, de la voix des magistrats populaires. Quintius s’en empara, et rappelant la multitude à ces bruyantes assemblées dont elle n’avait gardé que le souvenir, il passa, aux yeux d’une certaine classe d’hommes, pour le restaurateur de l’ancienne liberté. Mais quelle fut bientôt pour lui la haine de ce peuple dont la faveur l’avait élevé si