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qui ne devaient pas même être produits en justice. S’il succomba, ce fut la faute des temps, et non celle de sa cause.

XXXIV. Et vous croyez qu’un tel jugement doit nuire à Cluentius ! Pour quelle raison ? Supposez que Junius n’eût pas consulté le sort, comme le veut la loi, ou qu’il eût une fois omis la formalité du serment, s’ensuit-il que sa condamnation ait rien préjugé contre Cluentius ? — Vaine question ! dit mon adversaire : il fut condamné aux termes de deux lois ; mais c’était pour en avoir violé une troisième. — Ceux qui font un pareil aveu peuvent-ils bien soutenir que c’est là un véritable jugement ? Le préteur, dit-il encore, se déclara contre Junius, parce qu’on le croyait complice de la corruption des juges. — La cause aujourd’hui est-elle donc changée ? le fait, la procédure, l’affaire tout entière est-elle autre maintenant qu’elle n’était alors ? Je ne pense pas qu’aucun des actes consommés dans ce temps-là ait pu changer de nature. Pourquoi donc ce silence avec lequel on m’écoute en ce moment, tandis qu’on ne laissa pas même à Junius la liberté de se défendre ? C’est qu’alors tout était sous l’influence de la passion, de l’erreur, des préjugés, et de ces assemblées turbulentes convoquées chaque jour par un tribun séditieux. Le tribun accusait à la fois et devant le peuple et devant le tribunal, il quittait l’assemblée pour venir au barreau, ou plutôt il y venait avec toute l’assemblée. Les degrés Auréliens, nouvellement construits, semblaient l’avoir été pour servir d’amphithéâtre aux spectateurs de ce jugement, et dès que l’accusateur les avait couverts d’une multitude échauffée par ses discours, on ne pouvait plus parler en faveur de l’accusé ; on ne pouvait pas même se lever pour le défendre.

Dernièrement, au tribunal d’Orchinius mon collègue, les juges ont laissé sans ajournement fixé l’affaire de Faustus Sylla, poursuivi comme détenteur de deniers publics. Ce n’est pas qu’ils aient cru Sylla au-dessus des lois, ni dédaigné, comme le rebut du barreau, la cause du trésor de l’État ; mais ils ont pensé qu’avec un tribun du peuple pour accusateur, l’accusé soutiendrait une lutte trop inégale. À présent opposerai-je époque à époque, ou Sylla à Junius, ou ce tribun à Quintius ? Sylla était puissant par son opulence, par le nombre de ses parents, de ses alliés, de ses amis, de ses clients ; Junius était loin d’avoir tant d’appuis ; il devait ses faibles ressources à un travail pénible et à de longs efforts. Le tribun dont je parle est sage, honnête, ennemi des séditieux, bien loin d’être séditieux lui-même ; le tribun Quintius était d’un caractère violent, accusateur passionné, démagogue fougueux. Les temps sont aujourd’hui calmes et tranquilles ; ils étaient alors agités par tous les orages de la haine et de la prévention. Malgré cette différence, les juges ont décidé que Sylla plaiderait avec trop de désavantage, si, à la qualité d’accusateur, son adversaire réunissait l’ascendant d’un pouvoir redoutable.

XXXV. Et ici, juges, c’est le lieu d’en appeler à votre prudence et à votre générosité, et de livrer à vos plus sérieuses réflexions les maux et les dangers que peut susciter à chacun de nous la puissance tribunitienne, soulevant, dans des assemblées séditieuses, les passions de la multitude. Dans des temps plus heureux, lorsqu’on fondait