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ce qu’on en voulait faire. Je dis qu’il fallait gagner seize juges pour qu’Oppianicus fût absous, et que six cent quarante mille sesterces ont été portés chez Stalénus. Si c’est, comme vous le dites, pour acheter l’amitié de Cluentius, six cent mille ne suffisaient-ils pas ? pourquoi quarante mille de plus ? Si c’est, comme nous le prétendons, pour distribuer à seize juges chacun quarante mille sesterces, Archimède n’aurait pas mieux calculé.

On objecte que beaucoup d’arrêts ont déclaré Cluentius coupable de corruption. La vérité est que cette question n’a jamais été jusqu’ici débattue en justice réglée. Cette cause, si vivement attaquée, traînée si longtemps de tribunaux en tribunaux, est aujourd’hui défendue pour la première fois ; c’est aujourd’hui pour la première fois que la vérité, rassurée par l’équité des juges, élève la voix contre la calomnie. Cependant ces nombreux arrêts, quels sont-ils ? car je suis armé contre toutes les attaques, et j’ai des arguments prêts pour démontrer que, parmi les prétendus jugements rendus sur ce premier jugement, les uns paraissent moins des sentences émanées de la justice, que les terribles effets d’une ruine ou d’une tempête ; les autres ne préjugent rien contre Cluentius ; plusieurs même lui sont favorables ; d’autres enfin n’ont jamais été appelés des jugements ni regardés comme tels. Ici, juges, c’est plutôt pour me conformer à l’usage, que pour implorer une bienveillance dont vous me donnez déjà tant de preuves, que je vous prie d’accorder votre attention à l’examen que je vais faire de chacun de ces jugements.

XXXIII. C. Junius, qui présidait dans la cause d’Oppianicus, a été condamné ; ajoutez même si vous le voulez, qu’il a été condamné lorsqu’il était encore en exercice. Le tribun du peuple n’a pas eu plus de respect pour la loi que d’égards pour l’accusé. Dans un temps où il n’était pas permis de tirer Junius de son tribunal, pour l’appeler à d’autres fonctions publiques, on l’en arrache pour lui faire son procès. Et quel procès, grands dieux ! Vos regards, citoyens, m’encouragent à dire librement des choses que je voulais taire. Y eut-il donc une instruction, des débats, un jugement ? Je veux le croire. Eh bien ! je le demande à qui voudra me répondre parmi ce peuple alors irrité et dont on flattait l’emportement, de quoi Junius fut-il accusé ? Tout le monde répondra : De s’être laissé corrompre, et d’avoir causé la perte d’un innocent. Telle est l’opinion générale ; mais s’il en était ainsi, il fallait invoquer contre lui la loi en vertu de laquelle on poursuit Cluentius. — Mais Junius présidait lui-même le tribunal chargé d’appliquer cette loi. — Quintius eût attendu quelques jours que sa commission fût expirée. Mais non ; Quintius ne voulait pas attendre que lui-même ne fût plus tribun, et que l’indignation publique fût calmée. Vous le voyez, juges, ce n’est pas sur la bonté de sa cause, c’est sur l’opinion du moment et l’abus du pouvoir que l’accusateur fondait son espérance. Il conclut à une amende : sous quel prétexte ? Parce que Junius n’avait pas fait le serment ordinaire d’observer la loi, oubli qui ne fut jamais regardé comme un crime ; et parce que l’honnête et scrupuleux C. Verrès, préteur de la ville, n’avait pas sur son registre, qu’on produisit tout couvert de ratures, les noms désignés par le sort pour remplacer les juges récusés. Voilà pour quels motifs C. Junius fut condamné ; motifs légers et frivoles,