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rantie à Bulbus et à ses pareils, pour leur prouver que le corrupteur avait manqué de parole. Si donc, juges, vous voyez d’un côté le besoin d’acheter les suffrages, une somme donnée, un Stalénus, en un mot tout ce qu’ont de plus odieux l’audace et la perfidie ; tandis que de l’autre vous ne trouvez aucun indice d’argent donné, aucun intérêt à corrompre les juges, rien enfin qu’une vie honorable et une probité scrupuleuse ; éclairés désormais sur la vérité et désabusés de l’erreur, laissez la honte de cette criminelle intrigue retourner à la source impure d’où sont partis tant d’autres forfaits ; et que d’injustes préventions cessent enfin de poursuivre un homme dont jamais aucun crime n’a souillé la vie.

XXXI. Mais, disent nos adversaires, c’est pour ménager une réconciliation et non pour corrompre les juges, qu’Oppianicus avait remis de l’argent à Stalénus. Se peut-il bien, Attius, qu’avec vos lumières et votre expérience vous teniez ce langage ? Celui-là, dit-on, est le plus sage, qui sait de lui-même trouver ce qu’il convient de faire ; le second rang appartient à celui qui sait se rendre aux sages conseils d’un autre. C’est le contraire pour la folie : celui qui n’invente rien est moins fou que celui qui s’empare des folles inventions d’autrui. Stalénus se voyant le poignard sur la gorge, imagina dans le premier moment cette prétendue réconciliation ; ou bien, comme on le disait alors, ce fut Céthégus qui lui suggéra ce misérable subterfuge. En effet, vous pouvez vous rappeler le bruit qui courut en ce temps-là : Céthégus, ennemi de Stalénus, voulant débarrasser la république d’un homme aussi pervers, persuadé d’ailleurs que rien ne pourrait sauver un juge convaincu, par son propre aveu, d’avoir clandestinement et sans titre légitime reçu de l’argent d’un accusé, lui avait, disait-on, donné ce conseil un peu perfide. Si en cela Céthégus manqua de bonne foi, je ne m’en étonne pas ; il cherchait à se défaire d’un ennemi ; mais si Stalénus était dans l’impossibilité de nier qu’il eût reçu de l’argent, et si l’usage pour lequel il l’avait reçu ne pouvait être avoué sans une honte et un péril extrême, on ne peut pas même blâmer Céthégus de lui avoir donné ce conseil. Au reste, Stalénus était dans une position bien différente de celle où vous êtes aujourd’hui, Attius. Confondu par l’évidence, tout ce qu’il pouvait dire le déshonorait moins que l’aveu de ce qu’il avait fait. Mais vous, Attius, que vous reproduisiez maintenant une fable qui dans le temps excita le mépris et la risée, voila ce qui m’étonne. Comment Cluentius eût-il pu se réconcilier avec Oppianicus ? il était poursuivi par la haine implacable de sa mère ; les noms de l’accusateur et de l’accusé étaient consignés dans les registres publics ; les Fabricius venaient d’être condamnés ; Oppianicus accusé par un autre n’eût pas échappé, et Cluentius ne pouvait abandonner l’accusation sans passer pour un vil calomniateur.

XXXII. Direz-vous qu’on voulait acheter sa collusion contre lui-même ? Ce serait déjà une sorte de corruption. Mais qu’avait-on besoin de prendre un juge pour négociateur ? et en général, pourquoi eût-on employé la médiation d’un Stalénus, homme vil et déshonoré, étranger aux deux partis, plutôt que celle de quelque honnête homme, ami de l’un et de l’autre ? Mais qu’ai-je besoin d’en dire davantage sur un objet aussi clair ? La somme même remise à Stalénus et le nombre de sesterces, révèlent, à n’en pas douter,