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coutumé à recueillir jusqu’aux moindres souffles de la renommée pour en former des tempêtes, crut trouver une belle occasion de s’élever aux dépens du sénat, en augmentant les préventions que le peuple paraissait avoir déjà contre les jugements de cet ordre. Dans une première et une seconde harangue des plus véhémentes et des plus animées, le tribun crie de toutes ses forces que les juges se sont vendus pour condamner un innocent ; qu’il y va de l’existence de tous les citoyens ; qu’il n’y a plus de justice ; que quiconque a un ennemi riche doit trembler pour sa tête. Le peuple, qui ne savait rien de ce qui s’était passé, qui n’avait jamais vu Oppianicus, qui le prenait pour un homme plein d’honneur et de vertu, immolé par des juges corrompus, conçoit de violents soupçons, parle de faire justice, et demande hautement que l’affaire soit portée à son tribunal. Ce fut à cette époque-là même que Stalénus, appelé par Oppianicus, se rendit secrètement et de nuit dans la maison de Titus Annius, homme distingué par ses vertus, mon intime ami. Tout le reste est bien connu : on sait comment Oppianicus redemanda l’argent ; comment Stalénus promit de le rendre ; comment des témoins dignes de foi, cachés à dessein dans un lieu voisin, entendirent toute leur conversation ; comment l’intrigue fut dévoilée et rendue publique ; comment enfin Stalénus se vit arracher des mains sa proie tout entière.

XXIX. Ce personnage, qui avait fait ses preuves, était bien connu du peuple, et il n’y avait pas d’infamie dont on ne le crût capable ; mais qu’il se fût approprié l’argent promis par lui-même au nom de l’accusé, c’est ce qu’on ne savait pas dans l’assemblée, et le tribun se gardait bien de le dire. Les citoyens savaient qu’il avait été question d’argent dans ce procès ; on leur disait que l’accusé avait été condamné injustement ; ils voyaient que la voix de Stalénus avait été contre lui ; ils jugeaient, d’après le caractère connu de cet homme, qu’il ne l’avait pas donnée pour rien. Le même soupçon pesait sur Bulbus, Gutta et quelque autres. Je l’avoue donc, et je puis aujourd’hui l’avouer impunément, surtout devant ce tribunal : comme la vie d’Oppianicus et son nom même étaient jusqu’alors inconnus au peuple ; comme on s’indignait en pensant qu’un innocent avait été condamné par des suffrages payés, soupçon que justifiaient trop la perversité de Stalénus et l’infamie de quelques juges non moins décriés ; comme cette cause était plaidée par un homme revêtu d’une grande puissance et doué d’un grand talent pour allumer les passions de la multitude : je l’avoue, dis-je, ce jugement souleva tous les esprits et devint l’objet d’une prévention universelle. Je n’ai pas oublié que l’incendie à peine allumé dévora d’abord L. Junius, président du tribunal, et que ce citoyen déjà honoré de la charge d’édile, et que le vœu général appelait à celle de préteur, poursuivi par des clameurs insensées, et condamné sans être entendu, se vit à la fois privé de ses honneurs et dépouillé de ses droits.

Et je me félicite de défendre aujourd’hui plutôt que dans ces temps orageux la cause de Cluentius. La cause, il est vrai, reste la même, et rien ne peut la changer ; mais l’orage a disparu, les haines se sont calmées : en sorte qu’il n’a plus rien à craindre de la malignité des temps, et qu’il a tout à espérer de la bonté de son droit. Aussi je vois avec quelle bienveillance je suis écouté main-