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assez naturel que Stalénus était vendu, et croyant pouvoir encore prévenir le succès de l’intrigue, pria les juges de prononcer sur-le-champ. Ils y consentirent. Oppianicus n’en fut pas très alarmé. Il croyait l’affaire arrangée par Stalénus. Trente-deux juges allaient délibérer : seize voix suffisaient pour absoudre. Les six cent quarante mille sesterces, répartis entre seize juges, devaient les procurer ; et la voix de Stalénus, ajoutée par surcroît et dans l’espoir d’une plus forte récompense, aurait formé la dix-septième. La hasard voulut que Stalénus, ignorant qu’on délibérerait si tôt, se trouvât absent. Il plaidait je ne sais quelle cause à un autre tribunal. Cluentius n’était pas fâché de cette absence, et Canutius s’en consolait facilement ; mais il n’en était pas de même de l’accusé ni de Quintius son défenseur. Ce dernier, alors tribun du peuple, s’emporte avec violence contre le président Junius, pour l’empêcher d’aller aux voix sans Stalénus ; et s’imaginant que les huissiers tardaient à dessein de le faire venir, il quitte lui-même cette audience solennelle, se rend au tribunal subalterne où plaidait Stalénus, fait d’autorité lever la séance, et amène ce nouveau juge à sa place. On se lève pour aller aux opinions ; Oppianicus, usant du droit qu’avaient alors les accusés, demande qu’on les donne de vive voix, afin que Stalénus puisse savoir ce qui serait dû à chacun. Le tribunal était diversement composé : peu de juges étaient vendus, tous étaient irrités. Ceux qui mettent leurs suffrages à prix dans les élections du Champ de Mars ne pardonnent pas au candidat qui manque à ses engagements : de même les juges corrompus étaient venus outrés de colère contre l’accusé. Tous les autres le regardaient comme un grand coupable ; mais ils attendaient l’avis de ceux qu’ils soupçonnaient d’être gagnés, afin de découvrir de quel côté partait la corruption.

XXVIII. Par un hasard assez étrange, le sort désigne Bulbus, Stalénus et Gutta pour donner leur avis les premiers. Tout le monde attendait avec impatience ce qu’allaient prononcer ces juges mercenaires et décriés. Tous trois prononcent sans hésiter la condamnation. Cet incident jeta dans les esprits du doute et de l’incertitude sur ce qui s’était passé. Les hommes sages, attachés aux anciennes maximes du barreau, qui ne voulaient ni absoudre un homme évidemment coupable, ni condamner avant d’avoir éclairci le fait, un accusé contre lequel on pouvait, à en croire les apparences, avoir employé la corruption, dirent qu’ils n’étaient pas suffisamment éclairés. Quelques juges sévères crurent que chacun ne devait prendre conseil que de sa propre conscience, et que si d’autres avaient reçu de l’argent pour bien juger, eux-mêmes n’en devaient pas moins respecter l’autorité de leurs deux précédents arrêts. Ils condamnèrent donc. Cinq juges en tout, soit par ignorance, soit par pitié, soit par scrupule, soit enfin par des vues intéressées, donnèrent leur voix en faveur de cet Oppianicus, qu’on nous représente comme un malheureux, victime de l’intrigue.

Aussitôt après la condamnation d’Oppianicus, le tribun L. Quintius, homme très populaire, ac-