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rappeler, après un si long temps, quels furent la vie et le caractère de Stalénus : car une opinion bien formée sur les mœurs d’un homme conduit à juger quelles peuvent avoir été ses actions.

XXVI. Ce dépositaire à la fois indigent, prodigue, audacieux, rusé, perfide, voyant un si riche trésor transporté tout à coup dans le séjour où la misère habitait seule avec lui, appelle aussitôt à son aide tous les artifices de la trahison et de l’iniquité. Donnerai-je l’argent aux juges ? Mais moi, que me reviendra-t-il, si ce n’est le péril et l’infamie ? Ne pourrais-je donc pas rendre inévitable la condamnation d’Oppianicus ? Essayons d’en trouver le moyen ; car enfin il faut tout prévoir. Si quelque hasard allait sauver sa tête, peut-être faudrait-il restituer. Il tombe, hâtons sa chute ; il va périr, portons-lui le dernier coup. Il s’arrête à la résolution de promettre, à quelques-uns des juges les moins délicats, de l’argent qu’il aurait soin de ne pas leur donner : il calculait que les juges intègres rendraient de leur propre mouvement un arrêt sévère, et que ce manque de parole irriterait contre Oppianicus ceux qui auraient été moins scrupuleux. En conséquence, il s’adresse d’abord à Bulbus, qu’il trouve sombre et rêveur, parce que depuis longtemps il n’avait rien gagné. Bulbus, lui dit-il, en lui frappant doucement sur l’épaule, êtes-vous homme à me seconder, pour que nous ne servions pas toujours gratuitement la république ? À ces mots de ne rien faire gratuitement, Bulbus se réveille : Commandez, répondit-il, je suis prêt à vous obéir. Mais de quoi s’agit-il ? Alors Stalénus lui promet quarante mille sesterces, si Oppianicus est absous, et le prie d’en conférer avec ceux qu’il connaît particulièrement. Lui-même, chef et artisan de toute l’intrigue, séduit Gutta ; et Bulbus, aidé de cet auxiliaire, n’a pas de peine à flatter l’avidité de quelques autres d’une douce espérance. Deux jours se passent, et l’on ne savait encore sur quoi compter. On désirait un dépositaire qui répondît de la somme. Alors Bulbus, d’un air riant, s’adresse à Stalénus, et prenant le ton le plus adouci qu’il lui fut possible : Mon cher Pétus, lui dit-il (car Pétus est le surnom que Stalénus avait choisi dans la noble maison Elia ; s’il se fût appelé Ligur, ce nom eût paru celui de sa nation plutôt que de sa famille) ; Pétus, lui dit-il donc, pour l’objet dont vous m’avez parlé, on me demande où est l’argent. Alors cet imposteur effronté, ce fourbe nourri de rapines judiciaires, qui déjà dévorait en espérance la riche proie qu’il tenait soigneusement cachée, ride son front (vous vous rappelez, juges, son visage composé et son air hypocrite), et se plaint qu’Oppianicus lui a manqué de parole. Cet homme tout pétri de ruses et de mensonges, et qui, appelant l’art au secours de la nature, avait perfectionné par l’étude sa détestable industrie, proteste avec assurance qu’Oppianicus l’a trompé ; et pour preuve, il ajoute que, dans son procès, où tous les juges donneront leurs suffrages à haute voix, il sera le premier à le condamner.

XXVII. Un bruit s’était répandu dans le tribunal que des propositions avaient été faites à plusieurs juges. La négociation n’avait pas été aussi secrète qu’elle aurait dû l’être, ni aussi publique que l’eût demandé l’intérêt de la société. Pendant qu’on se livre à mille conjectures, Canutius, homme habile, averti par un soupçon