Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/465

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’absoudre. Sachez maintenant que, quand il fut cité en justice, deux arrêts antérieurs avaient décidé la question, et l’amenaient tout condamné devant le tribunal. En effet, Cluentius avait commencé par accuser celui entre les mains duquel il avait surpris le poison. C’était Scamander, affranchi des Fabricius. Le tribunal était intègre ; nul soupçon qu’on cherchât à le corrompre ; la question était simple ; le fait, positif ; le crime, avéré. Alors ce Fabricius, dont j’ai parlé, se voyant menacé lui-même si son affranchi succombait, connaissant d’ailleurs mes rapports de voisinage avec Alétrium, et mes liaisons avec la plupart des habitants, amena chez moi un grand nombre d’entre eux. Ceux-ci avaient de cet homme l’opinion qu’on ne pouvait s’empêcher d’en avoir ; cependant, comme il était leur compatriote, ils crurent que l’honneur les obligeait à le défendre de tout leur pouvoir : ils me prièrent donc de le faire pour eux, et de me charger de la cause de Scamander, au succès de laquelle était attachée la sûreté de son patron. Je ne pouvais rien refuser à des hommes si estimables, à des amis qui m’étaient si dévoués. Je ne croyais pas d’ailleurs le crime si atroce et si manifeste, et ceux qui me recommandaient cette cause étaient dans la même erreur. Je leur promis de faire tout ce qu’ils voudraient.

XVIII. L’instruction commença ; Scamander fut cité. L’accusateur était P. Canutius, homme de talent et habitué à manier la parole. Son accusation contre Scamander se réduisait à ce peu de mots : On a trouvé du poison sur lui. Du reste tous ses traits tombaient sur Oppianicus. Il remontait à la cause de l’attentat ; il rappelait les liaisons de cet homme avec Fabricius ; il faisait le tableau de sa vie et de son audace ; enfin toute son accusation, exposée dans un discours plein de force et de variété, se termina par la circonstance accablante du poison découvert et saisi. Alors je me levai pour répondre, avec quel embarras, grands dieux ! avec quelle inquiétude ! avec quelle timidité ! Jamais, il est vrai, je ne parle en public sans éprouver en commençant un trouble involontaire : toutes les fois que je prononce un discours, je crois être devant un tribunal qui va juger, non seulement mon talent, mais encore ma probité et ma délicatesse ; et j’appréhende à la fois de paraître avoir promis plus que je ne puis tenir, ce qui serait une présomption condamnable ; ou ne pas faire tout ce que je pourrais, ce qui serait négligence ou perfidie. Mais je ne fus jamais si déconcerté qu’alors. Tout m’alarmait. Si je ne disais rien, c’en était fait de ma réputation d’orateur ; si j’en disais trop dans une pareille cause, je passais pour le plus effronté des hommes.

XIX. Je me rassurai à la fin, et je pris le parti d’être ferme, persuadé qu’à l’âge où j’étais alors, on se fait honneur en n’abandonnant point un homme dans le danger, sa cause fût-elle même équivoque. Je parlai donc ; je combattis avec tant de chaleur, j’appelai tant d’arguments à mon secours, je fis si bien valoir, autant du moins que cela était en moi, toutes les ressources d’une cause désespérée, qu’on trouva, je n’ose presque le dire, que l’accusé n’avait pas à se plaindre de son défenseur. Mais à peine avais-je saisi un moyen, qu’aussitôt l’accusateur me l’arrachait des mains. Lui demandais-je si Scamander et Cluentius étaient ennemis, il avouait que non ; mais il ajoutait qu’Op-