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pectable de mère qu’elle tient de la nature ; plus ce nom rappelle de sentiments tendres et affectueux, plus la scélératesse inouïe de cette mère, acharnée depuis si longtemps, et aujourd’hui plus que jamais, à la perte de son fils, vous inspirera d’horreur ; Sassia, dis-je, mère de Cluentius, éprise, pour le jeune Mélinus son gendre, d’un amour illégitime, se fit d’abord à elle-même une violence qui ne fut pas de longue durée ; bientôt s’abandonnant à ses criminels transports, et livrée tout entière aux feux impurs qui la dévoraient, ni la honte, ni la pudeur, ni la tendresse maternelle, ni le déshonneur de sa famille, ni la crainte de l’opinion, ni la douleur de son fils, ni le désespoir de sa fille, rien ne put arrêter sa fureur. Elle employa contre ce jeune homme, dont l’âge et la raison n’avaient pas encore affermi la vertu, tous les artifices les plus capables de séduire un cœur sans expérience.

Sa fille, sensible, comme le sont toutes les femmes, aux outrages d’un époux, mais plus encore à l’horreur d’avoir une mère pour rivale, cherchait à dérober aux yeux du monde un malheur dont elle ne croyait pas même pouvoir se plaindre sans crime, et versait dans le sein du plus tendre des frères les larmes et la douleur qui consumaient ses jours. Tout à coup un divorce se déclare, seul adoucissement qu’elle pût espérer à tant de maux. Cluentia s’éloigne de Mélinus sans peine ni plaisir : elle quittait un perfide ; mais elle perdait un époux. Alors cette digne et incomparable mère fait éclater publiquement sa joie. Mais la passion maîtrise encore cette rivale triomphante. Un scandale trop obscur ne suffit bientôt plus à sa coupable ardeur : ce lit nuptial que ses mains avaient préparé pour sa fille deux ans auparavant, elle le fait orner et préparer pour elle-même, dans la maison d’où elle a chassé cette infortunée. Une belle-mère devient la femme de son gendre, noces détestables que les auspices ne consacrent point, que nul consentement n’autorise, qu’un peuple entier poursuit de sa malédiction.

VI. Ô forfait incroyable, et dont jusqu’à cette femme on n’avait pas vu d’exemple ! passion fougueuse et indomptable ! audace inouïe ! elle ne redoute rien, ni la colère des dieux et l’indignation des hommes, ni cette nuit qui prête son ombre à l’hymen, et ces flambeaux qui l’éclairent ! elle ose franchir ce seuil qui lui est interdit, s’approcher du lit de sa fille, envisager ces murs même, témoins d’une plus chaste union ! Elle a tout bravé, tout foulé aux pieds dans ses transports sacrilèges : la débauche l’a emporté sur la pudeur, l’audace sur la crainte, le délire sur la raison. Un fils ne put voir sans gémir la honte de son sang, l’opprobre de sa famille et de son nom ; mais sa douleur était redoublée par les plaintes et les larmes continuelles d’une sœur inconsolable. Cependant toute la vengeance qu’il tira des sanglants outrages d’une mère si coupable fut de s’éloigner d’elle, de peur qu’en vivant familièrement avec une mère qu’il ne pouvait voir sans la plus profonde affliction, il ne parût autant l’approbateur que le témoin de ses déportements.

Vous avez entendu quelle fut l’origine des ressentiments de Sassia contre son fils. Vous sentirez, quand vous connaîtrez le reste, combien ce détail était nécessaire à ma cause. Car je n’ignore pas que, quels que soient les torts d’une mère,