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l’innocence, je vous montrerai d’abord que jamais accusé n’a été traduit en justice pour des faits plus atroces et convaincu par des témoins plus irrécusables que ne l’a été Oppianicus. Ensuite je prouverai que des sentences, déjà prononcées par les juges mêmes qui l’ont condamné, ne leur laissaient en aucune manière, je dis plus, ne laissaient à quelque tribunal que ce fût la faculté de l’absoudre. Après avoir établi ces deux points, je dévoilerai le mystère qui intéresse le plus la curiosité, et je ferai voir que la corruption essayée dans ce jugement ne l’a pas été par Cluentius, mais contre Cluentius. Je tâcherai enfin d’exposer à vos regards la réalité des faits, les illusions de l’erreur, et les impostures de la haine.

Une première considération peut faire sentir combien Cluentius devait avoir pleine confiance dans sa cause : c’est qu’il ne s’est porté accusateur qu’armé de preuves évidentes et de témoignages irrésistibles. Ici, juges, il est de mon devoir de vous apprendre en peu de mots sur quels faits Oppianicus a été condamné. Croyez, je vous prie, Caïas, que si j’accuse la mémoire de votre père, c’est malgré moi, et pour acquitter ce que je dois à la défense de mon client. Si je suis forcé de vous déplaire aujourd’hui, mille circonstances se rencontreront dans la suite où je pourrai vous servir ; mais si je ne fais ici même pour Cluentius tout ce qu’il attend de moi, l’occasion de le faire ne reviendra jamais. Et d’ailleurs, est-il un de nous qui doive balancer à parler contre un homme condamné, et qui a cessé de vivre, pour défendre celui qui jouit encore de la vie et de l’honneur ? L’arrêt qui condamna le premier ne lui laissait plus rien à craindre du côté de la honte, et la mort l’a dérobé même au sentiment de la douleur ; l’autre, au contraire, ne peut éprouver la rigueur de ses juges, sans ressentir dans son âme la plus cruelle douleur, et voir ses jours couverts d’opprobre et d’ignominie. Et afin que vous compreniez, citoyens, que ce n’est point par animosité, ni par l’ardeur de se montrer et de se faire un nom, que Cluentius a invoqué contre Oppianicus la sévérité des lois, mais qu’il y a été poussé par d’affreuses injustices, par des embûches journalières, enfin par le danger dont sa vie était menacée, je reprendrai d’un peu plus haut tout le détail de cette affaire. Je vous prie de ne pas me refuser une indulgente attention. Quand vous connaîtrez les premiers faits, vous saisirez bien plus facilement ceux qui les ont suivis.

V. Aulus Cluentius Avitus, père de l’accusé, tenait le premier rang non seulement à Larinum, sa patrie, mais encore dans tout le pays d’alentour, par ses vertus, sa réputation et sa naissance. Mort sous le consulat de Sylla et de Pompéius, il laissa le fils que vous voyez, alors âgé de quinze ans, et une fille déjà nubile, qui, peu de temps après la mort de son père, épousa Aurius Mélinus, son cousin, jeune homme vertueux alors et distingué dans sa patrie. Cette noble alliance florissait au sein de la concorde, quand tout à coup l’affreuse passion d’une femme abominable y vint porter à la fois le crime et le déshonneur. Sassia, mère de Cluentius, oui, sa mère, c’est ainsi que j’appellerai toujours cette cruelle ennemie, et au milieu du récit de ses crimes et de ses fureurs, je ne cesserai jamais de lui donner ce nom res-