Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/445

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un général accompli. Que dit en effet Hortensius ? Que, s’il faut tout donner à u n seul, Pompée en est le plus digne ; mais aussi, qu’il ne convient pas de tout donner à un seul. Cette raison n’a déjà plus de crédit ; les événements l’ont réfutée beaucoup mieux que toutes nos paroles. Car c’est vous aussi, Hortensius, qui, avec votre facilité, singulière et votre admirable éloquence, avec cette mesure et ces formes élégantes qui vous sont habituelles, avez combattu, et dans le sénat et à cette tribune, Aulus Gabinius, lorsque ce tribun courageux promulgua la loi qui devait nommer Pompée seul général contre les pirates ; et cette loi fut l’objet de votre infatigable opposition. Or, je vous le demande au nom des dieux, si le peuple romain, moins soucieux de ses intérêts et de la vérité, se fût laissé entraîner aux séductions de votre éloquence imposante, serions-nous encore aujourd’hui en possession de notre gloire et de l’empire du monde ? Et pensiez-vous l’avoir, cet empire, quand on saisissait les ambassadeurs du peuple romain, ses préteurs et ses questeurs ; quand toute communication publique et particulière avec les provinces était rompue ; quand toutes les mers nous étaient si bien fermées, que ni les vaisseaux marchands, ni les flottes de l’État ne pouvaient s’y ouvrir un passage ?

XVIII. Fut-il jamais un État, je ne parle pas d’Athènes, qui passe pour avoir eu une assez grande puissance maritime ; ni de Carthage, dont toute la force était dans ses flottes et dans son commerce maritime ; ni de Rhodes, encore célèbre de nos jours par son organisation navale et sa gloire : fut-il jamais un État si dépourvu de forces, une île si resserrée dans ses rivages, qui n’aient trouvé dans leurs propres ressources des moyens de défendre leurs ports, leurs territoires, ou du moins une partie des uns et des autres ? Eh bien ! durant des années entières, avant la promulgation de la loi Gabinia, le peuple romain, ce peuple qui avait porté jusqu’à nos jours le titre d’invincible dans les combats sur mer, s’est vu dépouillé, non-seulement de ses revenus les plus considérables et les plus importants, mais aussi de sa gloire et de son empire. Nous, dont les ancêtres avaient battu les flottes des rois Antiochus et Persée, et gagné toutes les batailles navales contre les Carthaginois, les marins les plus aguerris et les plus expérimentés, nous n’étions plus nulle part en état de résister à des pirates ; nous qui jadis faisions servir l’autorité imposante du nom romain non-seulement à protéger l’Italie, mais à garantir le salut de nos alliés dans les pays les plus reculés, témoin Délos, située si loin de nous dans la mer Egée, où se débarquaient de tous les coins du monde d’immenses cargaisons de marchandise, et qui ne craignait rien, malgré son opulence, malgré l’exiguïté de son étendue et le manque de toute fortification ; nous-mêmes dis-je, nous n’avions en Italie ni provinces, ni côtes, ni ports où nous fussions encore les maîtres ; la voie Appienne elle-même n’était plus libre, et cependant, à cette fatale époque, les magistrats du peuple romain ne rougissaient pas de monter à cette tribune que vos pères vous ont laissée ornée de dépouilles navales et des débris des flottes ennemies !

XIX. Alors le peuple romain ne doutait pas que