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cisalpine, des côtes de l’Illyrie, de l’Achaïe et de la Grèce entière, il couvre nos deux mers de flottes considérables, et dispose également le long de nos rivages de puissantes garnisons. Lui-même s’embarque à Brindes, et quarante-neuf jours après son départ, il réunit à l’empire toute la Cilicie : à son approche, les pirates disparaissent de toute l’étendue des mers ; les uns sont pris et exterminés, les autres se rendent à lui seul et à discrétion. Les Crétois lui envoient jusque dans la Pamphylie des ambassadeurs pour implorer sa clémence. Pompée ne leur ôte pas l’espérance du pardon, mais il exige des otages. Ainsi les préparatifs de cette guerre si considérable, si longue, disséminée sur tant de pays, si oppressive pour toutes les nations, furent achevés à la fin de l’hiver par Pompée, et la campagne, ouverte au commencement du printemps, fut terminée au milieu de l’été.

XIII. Tel est Pompée ; tel est ce génie prodigieux et qui surpasse toute croyance. Mais qu’elles sont grandes encore, qu’elles sont nombreuses ces autres qualités dont je vous parlais tout à l’heure ! Car la vertu guerrière n’est pas la seule qu’il faille considérer dans un général accompli ; il en est d’autres excellentes qui la servent et qui l’accompagnent. Et d’abord, quelles ne doivent pas être l’intégrité d’un général, sa modération en toutes choses, sa fidélité à sa parole, son affabilité, son esprit et son humanité ? Voyons rapidement, Romains, à quel degré Pompée réunit toutes ces vertus : au plus haut degré sans doute : mais le parallèle les fera mieux connaître et mieux comprendre que si vous ne lus considériez qu’en elles-mêmes.

Estimerons-nous, par exemple, un général qui a vendu et qui vend encore les grades de son armée ? Quelles nobles pensées, quels projets favorables à la république peuvent animer cet homme qui, avec l’argent tiré du trésor et destiné aux dépenses de la guerre, achète des magistrats le gouvernement convoité par sa cupidité ambitieuse, ou fait à Rome même des placements usuraires pour assouvir son avarice ? … Vos murmures, Romains, m’apprennent que vous avez reconnu les coupables. Cependant je ne nomme personne, et personne ne se peut offenser qu’il ne s’accuse aussitôt lui-même. Aussi, grâce à la rapacité de nos généraux, nul n’ignore les misères sans nombre que traînent après elles nos armées, partout où elles portent leurs pas. Rappelez-vous les marches qu’ils ont faites dans ces derniers temps, au milieu même de l’Italie, sur les terres et à travers les villes des citoyens romains, et vous jugerez plus aisément par là comment ils en usent chez les nations étrangères. Croyez-vous qu’avec de pareils chefs, vos soldats aient détruit plus de places ennemies, que leurs quartiers d’hiver n’ont ruiné de villes alliées ? Car un général ne saurait contenir son armée, s’il ne se contient pas lui-même, ni juger avec sévérité, s’il récuse pour lui-même la sévérité des jugements d’autrui. Et nous sommes étonnés de l’immense supériorité de Pompée, lui dont les légions sont arrivées en Asie dans un ordre si parfait, que pas un des peuples avec lesquels nous étions en paix n’eût a souffrir, je ne dirai pas des violences, mais simplement du passage d’une telle multitude. De plus, nous sommes instruits chaque jour et par des lettres d’Asie,