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même à inquiéter ; et de plus, ils étaient alors sous l’impression violente d’un préjugé odieux très-répandu parmi ces barbares. On y disait que l’intention de livrer au pillage leur temple le plus riche et le plus révéré, avait amené l’armée romaine dans leur pays ; et ainsi la terreur inspirée par notre approche s’augmentait par le fanatisme religieux, et faisait courir aux armes des populations nombreuses et puissantes. Enfin, l’armée romaine, bien que maîtresse d’une place dans le royaume de Tigrane, et quoiqu’elle eût vaincu dans toutes les batailles, se sentait découragée au sein de ces régions lointaines, et regrettait la patrie. Je n’ajouterai rien à ce récit ; car là s’arrêtèrent nos succès, l’armée avisant plutôt aux moyens de revenir sur ses pas que d’avancer dans le pays ennemi. Mithridate, au contraire, avait ranimé ses soldats ; des auxiliaires envoyés sous ses drapeaux par une foule de rois et de nations diverses accouraient le secourir et se joindre aux recrues levées dans son royaume. C’est un fait que nous savons par expérience, que les rois, dans leurs revers de fortune, intéressent facilement la pitié des hommes, de ceux-là surtout qui sont rois eux-mêmes ou qui vivent sous un gouvernement monarchique, le nom de roi leur paraissant être l’expression d’une idée grande et religieuse. Aussi Mithridate vaincu put-il faire ce qu’il n’avait jamais osé se flatter d’accomplir avant ses défaites. Rentré dans son royaume, il ne se contenta pas du bonheur inespéré d’avoir enfin regagné le pays d’où nous l’avions chassé, il fondit tout à coup sur votre armée, toute brillante encore de ses dernières victoires. Souffrez, Romains, souffrez qu’à la manière des poètes qui écrivent nos annales, je taise ici notre infortune : elle fut si grande en effet que la nouvelle en fut portée à Lucullus, non par un soldat échappe au désastre, mais par le bruit public transmis de bouche en bouche. Dans cette fatale conjoncture, et après un échec aussi considérable, Lucullus peut-être eût été capable de remédier à nos malheurs ; mais vous jugeâtes, à l’exemple de vos ancêtres, qu’il était temps de clore la durée de son commandement ; et Lucullus, rappelé par vos ordres, fut contraint de licencier la partie de ses soldats dont le service était expiré, et de remettre l’autre partie à Glabrion. J'omets à dessein beaucoup de détails : déjà cependant vous pouvez entrevoir l’importance de cette guerre qui réunit contre nous deux puissants monarques, que des nations irritées rallument, et à laquelle d’autres s’associent pour la première fois ; de cette guerre que doit soutenir un nouveau général dans un pays d’où nos vieilles troupes ont été rejetées.

X. J’en ai dit assez, je pense, pour prouver combien cette guerre est nécessaire par sa nature même et dangereuse par ses difficultés ; il me reste à parler du choix du général et de là gravité de sa mission.

Puissiez-vous, Romains, compter parmi vous tant d’hommes courageux et de mœurs pures, qu’il vous soit difficile de décider lequel mérite le plus l’honneur d’une si grande, d’une si glorieuse responsabilité ! Mais puisque Pompée est le seul qui ait effacé, par son illustration, et la gloire des généraux contemporains, et la renommée des généraux de l’antiquité, quelle raison pourrait encore prolonger votre incertitude ? Il me semble en effet qu’un grand général doit réu-