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venus de toute une année ; lorsque les fermiers de l’État sont troublés de la pensée qu’un immense péril menace les nombreuses familles d’esclaves employés par eux dans les salines, dans les champs, dans les ports et dans les magasins ? Quels revenus pensez-vous retirer de là si ceux-là même auxquels vous les affermez, ne trouvent pas en vous une garantie infaillible, non-seulement, comme je l’ai dit plus haut, contre les malheurs de la guerre, mais contre la crainte même de ces malheurs ?

VII. Considérez encore un fait important que je me suis proposé, en parlant de l’objet de la guerre, de signaler en dernier lieu à votre attention ; c’est qu’il y va, dans cette circonstance, de la fortune d’un grand nombre de citoyens. Il est, Romains, de votre sagesse de les protéger efficacement. Les fermiers de l’empire, tous hommes d’honneur et de naissance, ont transporté en Asie leurs capitaux et leurs espérances, et il est nécessaire que vous couvriez de votre sollicitude ces biens qui constituent leur fortune. Car, si nous avons toujours estimé les revenus des provinces comme le nerf de la république, nous n’hésiterons pas à dire que l’ordre qui les prélève est le soutien des autres ordres. Il est ensuite, parmi ces derniers, beaucoup de gens actifs et industrieux ; les uns font le commerce en Asie, et vous leur devez un appui dans une terre étrangère ; les autres ont de grandes sommes d’argent, placées dans cette province, tant pour eux que pour leurs familles. Il est donc de votre humanité de prévenir les malheurs de tant de citoyens, et de votre sagesse de sentir la solidarité profonde qui associe la république à la ruine de tant d’individus. D’abord, il vous servira peu que la victoire rétablisse les impôts perdus pour vos fermiers, puisque ceux-ci, après les spoliations qu’ils auront subies, ne pourront plus se libérer envers vous, et que d’autres fermiers ne le voudront pas dans la crainte d’une semblable ruine. Ensuite la leçon du malheur, l’expérience que nous avons acquise à nos dépens, au commencement de la guerre, dans cette même Asie, et de la part de ce même Mithridate, ne doivent pas s’effacer de notre mémoire. Rappelons-nous qu’au moment des désastres essuyés par plusieurs de nos concitoyens en Asie, à Rome, les payements étaient suspendus, et le crédit tombé. Car dans une seule cité la destruction de la fortune de plusieurs particuliers ne manque pas d’en entraîner une foule d’autres dans le même désastre. Sauvez l’État de cette catastrophe ; croyez-moi, croyez-en ce que vous voyez sous les yeux. Le crédit, qui vivifie le commerce dans Rome, et la circulation de l’argent sur notre place, dépendent essentiellement de nos opérations financières en Asie : les unes ne peuvent être bouleversées, sans que les autres ne soient ébranlées par leur chute et ne s’écroulent avec elles. Balancerez-vous donc un instant à poursuivre, avec une infatigable ardeur, une guerre dans laquelle vous avez à défendre la gloire du nom romain, le salut de vos alliés, vos revenus les plus considérables, la fortune d’une foule de citoyens et la république elle-même ?

VIII. Voilà ce que j’avais à dire sur l’objet de la guerre ; maintenant je vais démontrer en peu