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l’Asie, et dans une multitude de villes, livré au massacre et à l’assassinat les citoyens romains ; tant que cet homme, dis-je, non-seulement ne recevra pas le châtiment de son crime, mais continuera de régner, comme il fait depuis plus de vingt-trois ans, et avec tant d’audace, que bien loin de vouloir se tenir caché dans le Pont ou dans les repaires de la Cappadoce, il songe à franchir les limites de ses royaumes paternels, pour fondre sur vos provinces tributaires, et faire parader ses troupes à la face du soleil de l’Asie. Car jusqu’ici, dans leur lutte contre ce prince, vos généraux n’ont recueilli que les vains trophées de la victoire ; mais la victoire elle-même, ils ne l’ont point remportée. Deux généraux illustres et des plus braves, L. Sylla et L. Muréna, ont triomphé de Mithridate ; inutile triomphe, puisque Mithridate, vaincu et chassé, régnait encore. Ceux-là cependant n’en méritent pas moins des éloges pour ce qu’ils ont fait, et des excuses, pour ce qu’ils n’ont pu faire ; car Sylla fut rappelé en Italie par la république, et Muréna par Sylla.

IV. Or, ce temps que vous lui laissiez, Mithridate l’employait non pas à oublier la guerre qu’il venait de finir, mais à en préparer une nouvelle. Après avoir construit et équipé de nombreuses flottes, rassemblé des troupes immenses, recrutées parmi toutes les nations qu’il a pu s’attacher ; après avoir simulé une invasion chez les peuples du Bosphore, voisins de ses États, il a envoyé des ambassadeurs d’Ecbatane jusqu’en Espagne, aux généraux rebelles que nous y combattions alors, afin qu’occupés à lutter à la fois et sur terre et sur mer, dans des lieux si différents et si éloignés, contre deux ennemis opérant de concert, vous fussiez réduits, avec des forces éparses ça et là, à combattre pour le salut même de l’empire.

Mais enfin, l’orage qui grondait du côté de Sertorius et de l’Espagne, de ce parti, le plus fort et le mieux secondé, fut heureusement dissipé par la sage prévoyance et le courage sans égal de Cn. Pompée ; et, de l’autre côté, Lucullus a mené les choses avec tant d’habileté, qu’il faut attribuer les magnifiques commencements de sa campagne, non pas à son bonheur, mais à sa bravoure ; et la responsabilité des événements qui se sont depuis succédé, non pas à lui, mais à la fortune. Je parlerai encore de Lucullus, Romains, et j’en parlerai de telle sorte que je ne semblera ! ni lui refuser les éloges qui lui sont vraiment dus, ni lui en imposer dont on pourrait contester la vérité. Mais puisque la gloire et la dignité de votre empire m’ont inspiré les premières paroles de ce discours, voyez maintenant, Romains, de quel sentiment vous devez être animés.

V. Vos ancêtres ont souvent pris les armes pour venger une injure faite à des marchands, à des patrons de navires ; et vous, après que tant de milliers de citoyens romains ont été égorgés en un seul jour, et sur un seul ordre de Mithridate, que pensez-vous faire ? Pour quelques insolences proférées contre vos ambassadeurs, vos ancêtres ont résolu la destruction de Corinthe, ce flambeau de la Grèce entière, et vous tolérez l’impunité d’un roi qui a chargé de fers et battu de verges un envoyé du peuple romain, un personnage consulaire, mort au milieu des supplices ? Ils