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tres sont livrés à ses coopérateurs ; le reste est vendu à l’encan.

IX. Les habitants furent indignés. Toute la ville était dans les pleurs et les gémissements. En effet, quel spectacle pour eux ! l’horrible assassinat d’un de leurs premiers citoyens, l’affreuse indigence de son fils, à qui, d’un si riche patrimoine, cet infâme brigand n’avait pas laissé même un sentier pour aller au tombeau de ses pères ; l’indigne achat et la possession non moins indigne de ses biens, les larcins, les déprédations, les profusions. Ils ne voient qu’avec horreur Titus disposer insolemment des dépouilles de l’homme le plus honnête et le plus vertueux.

Les décurions arrêtent aussitôt que les dix premiers magistrats se présenteront à Sylla, pour lui faire connaître quel homme a été Roscius, pour se plaindre du crime et des iniquités de ces brigands, et le prier de vouloir que nulle atteinte ne soit portée à l’honneur du père ni à la fortune du fils. Voici les termes de l’arrêté : daignez en écouter la lecture. ARRÊTÉ des DÉCURIONS. Les députés arrivent au camp. Ici l’on reconnaît ce que j’ai dit plus haut, que tous ces crimes et ces attentats se commettaient à l’insu de Sylla. En effet, Chrysogonus vient à l’instant les trouver lui-même. Il leur envoie des nobles pour les prier de ne point s’adresser à Sylla, et leur promettre que Chrysogonus fera tout ce qu’ils désirent. Il craignait plus que la mort, que Sylla ne fût instruit. Ces hommes qui avaient la simplicité des anciens temps jugeaient des autres par eux-mêmes ; Chrysogonus assurait qu’il effacerait le nom de Roscius, qu’il remettrait au fils la totalité de ses biens ; Roscius Capiton, qui était l’un des députés, se rendait garant de cette promesse : ils crurent, et retournèrent à Amérie, sans avoir rien demandé. Les associés ne se pressèrent pas d’agir. D’abord ils diffèrent et renvoient au lendemain. Chaque jour ils affectent plus de lenteur. Rien ne s’exécute. Ils se jouent des députés. Enfin ils cherchent, comme il a été facile de le connaître, à faire périr le jeune Roscius, persuadés que, tant que le véritable propriétaire vivra, ils ne pourront conserver des biens qui ne leur appartiennent pas.

X. Dès qu’il s’en fut aperçu, celui-ci, de l’avis de ses amis et de ses parents, vint à Rome se réfugier auprès de Cécilia, fille de Népos, l’amie de son père, femme respectable, que l’on a toujours regardée comme un modèle de notre antique loyauté. Dénué de tout, arraché de ses foyers, chassé de ses propriétés, fuyant les poignards et les menaces des brigands, il trouva un asile dans la maison de Cécilia. Elle tendit une main secourable à un hôte opprimé, et dont la perte semblait inévitable. S’il vit encore, s’il n’a pas été inscrit sur la liste fatale, si les hommes qui voulurent être ses assassins ne sont ici que ses accusateurs, il le doit au courage, à la protection, aux soins de cette amie généreuse. En effet, lorsqu’ils virent qu’on veillait avec une extrême attention sur les jours de Sextus, et qu’il ne leur était laissé aucun moyen de l’assassiner, ils conçurent l’exécrable projet de l’accuser de parricide, de s’assurer de quelque vieux accusateur qui pût faire quelques phrases sur une chose qui n’offrait pas même l’apparence du plus léger soupçon, en un mot, ils résolurent de le rendre