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vraie possession lorsque le fermier tenait la terre, son héritier, après sa mort, ne l’ait eue au même titre ? Ensuite, lorsque Cécina lui-même visitait ses héritages, il vint aussi dans cette terre et reçut les comptes du fermier : le fait est prouvé. D’ailleurs, Ébutius, si mon client n’était pas en possession, pourquoi lui signifiâtes-vous qu’il eût à vous abandonner cette terre plutôt que toute autre ? Enfin, pourquoi Cécina lui-même voulait-il être dépossédé suivant les formalités d’usage, et vous avait-il donné cette réponse de l’avis de ses amis et même d’Aquillius ?

XXXIII. Mais, dites-vous, Sylla a porté une loi. Sans me plaindre de ces temps désastreux et du malheur de la république, je vous réponds que le même Sylla a mis une clause dans cette loi, il déclare que SI LA LOI ÉTAIT CONTRAIRE AU DROIT REÇU, ELLE SERAIT NULLE. Qu’est-ce qu’on appelle contraire au droit reçu ? est-il quelque chose que le peuple ne puisse ordonner ou défendre ? Sans aller plus loin, cette clause même annonce qu’il est quelque chose qui annule les lois ; autrement, on ne la mettrait pas dans toutes les lois. Mais, je vous demande, si le peuple ordonnait que je fusse votre esclave, ou que vous fussiez le mien, croyez-vous que cet ordre aurait son effet ? Vous voyez qu’il serait nul, entre toutes les choses que les lois ne peuvent ordonner. Ainsi, vous convenez d’abord que la puissance législative n’est pas illimitée, et ensuite vous ne prouvez pas que, la liberté ne pouvant aucunement se perdre, on puisse perdre le droit de cité. Nos ancêtres nous ont laissé les mêmes lois pour l’une et pour l’autre ; et si une fois le droit de cité ne peut être conservé, la liberté ne peut l’être davantage. Car enfin, peut-on être libre par le droit des Quirites, quand on n’est même pas de leur nombre ? C’est ce que je fis entendre aux juges lorsque, très jeune encore, je plaidais ce point contre Cotta, l’homme le plus éloquent de notre ville. Je défendais la liberté d’une femme d’Arrétium, et Cotta avait fait naître des doutes aux décemvirs sur la validité de notre. action, parce qu’on avait dépouillé les Arrétins du droit de cité : je soutenais fortement qu’ils n’avaient pu perdre ce droit. Les décemvirs ne décidèrent rien dans la première audience ; mais ensuite, après une délibération mûre et réfléchie, ils prononcèrent en notre faveur. C’était du vivant de Sylla, et malgré le talent de Cotta, notre adversaire, que cette décision fut donnée. Pourquoi citerais-je les autres circonstances où tous ceux qui sont dans le même cas agissent en vertu de la loi, poursuivent leur droit, exercent le privilége de citoyen sans nulle difficulté de la part des magistrats, des juges, des hommes instruits ou ignorants ? Aucun de vous, Romains, ne doute de ce que je dis. Écoutez, Pison, une objection qui vous a échappé, je ne l’ignore pas ; on demande comment, si le droit de cité ne peut se perdre, nos citoyens sont souvent partis pour les colonies latines. Ils sont partis, ou de leur propre mouvement, ou pour ne point subir une peine légale. S’ils eussent voulu subir cette peine, ils auraient pu rester dans Rome et y jouir des droits de citoyen.

XXXIV. Et celui qu’a livré le chef des féciaux, celui que son père ou le peuple a vendu, comment perd-il le droit de cité ? On livre un citoyen romain pour affranchir la cité d’un engagement solennel : lorsqu’il est reçu, il appartient à ceux auxquels il a été livré ; si on ne le reçoit pas comme les Numantins n’ont pas reçu Mancinus,