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sorte que je doive être rétabli en vertu d’une seule et même ordonnance, soit que j’aie été chassé de ma terre ou d’auprès de ma terre : D’OÙ VOUS AUREZ ÉTÉ CHASSÉ, dit l’ordonnance. Ce mot D’OÙ annonce en même temps qu’on a été chassé d’un lieu, ou d’auprès d’un lieu. D’où Cinna a-t-il été chassé ? de Rome ; c’est-à-dire, jeté hors de Rome. D’où a-t-il été repoussé ? de Rome, c’est-à-dire, d’auprès de Rome. D’où les Gaulois ont-ils été chassés ? du Capitole ; c’est-à-dire, d’auprès du Capitole. D’où les partisans de Gracchus ont-ils été chassés ? du Capitole ; c’est-à-dire, jetés hors du Capitole. Vous voyez donc qu’un seul mot signifie les deux choses, d’un lieu ou d’auprès d’un lieu. Et, lorsque le préteur ordonne qu’on soit rétabli dans le lieu d’où l’on a été chassé, c’est comme si les Gaulois, pouvant l’obtenir, eussent demandé à nos ancêtres d’être rétablis dans le lieu d’où ils avaient été chassés ; il aurait fallu, je pense, les rétablir, non dans la voie souterraine par où ils avaient voulu emporter le Capitole, mais dans le Capitole même dont ils voulaient se saisir. Car voilà ce qu’on entend par ces mots : RÉTABLISSEZ-LE DANS LE LIEU D’OÙ VOUS L’AVEZ CHASSÉ, soit que vous l’ayez chassé d’un lieu, soit que vous l’en ayez repoussé. L’explication maintenant est simple : rétablissez dans le même lieu ; c’est-à-dire, si vous l’avez chassé d’un lieu, rétablissez-le dans le lieu, non pas dont vous l’avez chassé, mais d’où vous l’avez repoussé. Si quelqu’un, de la pleine mer, s’était approché de sa patrie, et que, rejeté tout à coup par la tempête, il souhaitât d’être rétabli dans le lieu d’où il aurait été chassé, il souhaiterait, je pense, que la fortune le rétablît dans sa patrie, dans le lieu d’où il aurait été repoussé ; non sur la mer, mais dans la ville où il voulait se rendre : de même, en recherchant la signification des mots par la comparaison des choses, si quelqu’un repoussé d’un lieu demande d’être rétabli d’où il a été chassé, il demande d’être rétabli non dans le lieu d’où il a été chassé, mais dans le lieu d’où il a été repoussé.

XXXI. C’est à quoi les paroles nous conduisent, et la chose même nous force d’adopter ce sentiment, de donner cette explication. En effet, Pison (je reviens à ce que je disais au commencement de ce plaidoyer), si quelqu’un vous eût chassé de votre maison avec violence, avec des hommes armés, que feriez-vous ? sans doute, vous réclameriez la même ordonnance que nous. Mais si quelqu’un, à votre retour de la place publique, vous empêchait, avec des hommes armés, d’entrer dans votre maison, que feriez-vous ? vous useriez de la même ordonnance. Lors donc que le préteur aurait ordonné de vous rétablir dans le lieu d’où vous auriez été chassé, vous interpréteriez la chose comme je l’interprète moi-même, puisque ce mot D’OÙ, par lequel il serait ordonné de vous rétablir, peut signifier également qu’il faut vous rétablir dans votre maison, soit que vous ayez été chassé de l’entrée ou de l’intérieur de cette maison.

Mais pour que vous n’hésitiez pas, magistrats, soit d’après les mots, soit d’après la chose, à vous prononcer en notre faveur, du milieu des débris de tous les moyens ruinés, s’élève une nouvelle défense. On peut chasser, disent nos adversaires, celui qui est en possession ; celui qui n’est pas en possession, ne peut être chassé en aucune sorte. Ainsi donc, Ébutius, si l’on me chasse de votre maison, je ne dois pas être rétabli ; on doit vous rétablir, si l’on vous chasse de la vôtre. Voyez, Pison, par combien d’endroits pèche cette défense. Et d’abord, remarquez que vous abandonnez votre moyen victorieux : vous qui disiez qu’on ne