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vous ne croyez pas qu’on doive soumettre une question de droit à l’ambiguïté d’un mot, vous voilà dans mes retranchements et dans ma défense. C’est là, oui, c’est là ma défense ; je le publie hautement ; j’en atteste tous les dieux et tous les hommes : nos ancêtres n’ayant pas voulu fournir une défense légale à la violence armée, on ne doit pas, en justice, suivre les pas de celui qui a été chassé, mais la conduite de celui qui a chassé ; on a été vraiment chassé quand on a été mis en fuite ; on nous a fait violence quand on nous a effrayé par la crainte de la mort. Vous redoutez cette attaque, et vous voulez, pour ainsi dire, de ce champ de bataille de l’équité, m’attirer dans les défilés tortueux de vos chicanes sur les mots et les syllabes : vous serez pris dans les piéges mêmes où vous voulez me prendre. Je ne vous ai point chassé, dites-vous, je vous ai repoussé. Cette raison vous paraît bien subtile ; c’est votre arme principale. Il faut nécessairement que vous soyez percé de votre propre épée. Car voici ce que je vous réplique : Si je n’ai pas été chassé du lieu où l’on ne m’a point permis d’approcher, je l’ai du moins été de celui dont j’ai approché, d’où j’ai pris la fuite. Si le préteur n’a point distingué le lieu où il ordonnait de me rétablir, et qu’il ait ordonné de me rétablir, je n’ai pas été rétabli d’après son ordonnance. Je vous en prie, magistrats, si vous trouvez plus de subtilité dans ce moyen que dans ceux dont je fais usage ordinairement, songez d’abord que c’est un autre qui l’a imaginé, et non pas moi ensuite, que, loin de l’avoir inventé, je ne l’approuve même pas ; que je ne l’ai pas apporté pour me défendre, mais que je l’oppose à la défense de nos adversaires ; enfin que je suis en droit de dire que, dans l’affaire actuelle, on ne doit pas examiner en quels termes est conçue l’ordonnance du préteur, mais de quel lieu il s’agissait lorsqu’il a rendu son ordonnance, et que dans la dénonciation d’une violence à main armée, il n’est pas question de savoir où elle a été commise, mais si elle a été commise ; que vous, Pison, vous ne pouvez aucunement établir dans quel cas vous voulez qu’on ait égard aux mots, et dans quel cas, ne le voulant point, il faut néanmoins y avoir égard.

XXX. Mais que peut-on répondre à ce que j’ai déjà touché plus haut, que tels sont, non seulement le vœu et l’esprit, mais encore les termes de l’ordonnance, qu’on ne devrait, ce me semble, y rien changer ? Redoublez d’attention, je vous en prie, magistrats ; vous avez besoin de toute votre intelligence pour saisir, non mes réflexions, mais celles de vos ancêtres : ce que je vais dire, ce n’est pas moi qui l’ai imaginé, ce sont eux-mêmes qui l’ont aperçu. Ils ont senti que, lorsque le préteur statue sur la violence, il est deux sortes de cas auxquels son ordonnance pourrait s’étendre : le premier, si l’on était chassé avec violence du lieu où l’on se trouvait ; l’autre, si l’on était éloigné avec violence du lieu où l’on voulait se transporter. Et il n’y a, en effet, que ces deux cas de possibles. Or, je vous en prie, Romains, suivez mon raisonnement. Quelqu’un chasse-t-il mes esclaves de ma terre, il me chasse du lieu où je suis. Quelqu’un vient-il au-devant de moi avec des hommes armés, hors de ma terre, et m’empêche-t-il d’y entrer, il ne me chasse pas de ce lieu, il m’en repousse. Nos ancêtres ont trouvé un seul mot qui suffit pour exprimer ces deux circonstances, en