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du droit ne saurait être perdue sans un énorme préjudice pour tout le corps de l’État.

XXVII. Dans cette cause même, Romains, si nous ne vous persuadons pas qu’on a été chassé par la violence et par des hommes armés, quand on a été certainement repoussé et mis en fuite par les armes et la violence, qu’arrivera-t-il ? Cécina, sans perdre sa fortune, qu’il perdrait avec courage s’il le fallait, ne sera point remis en possession pour le moment, voilà tout : mais il n’y aura plus rien d’assuré dans les droits et dans les fortunes du peuple romain ; les possessions, les propriétés deviendront douteuses et incertaines ; voici la règle que vous établirez par votre sentence : celui à qui on disputera désormais une possession ne sera légalement rétabli qu’autant qu’on l’aura chassé lorsqu’il sera entré dans la terre en litige ; il n’y sera point rétabli, si on s’est présenté à lui avec une multitude armée lorsqu’il y entrait ; si, lorsqu’il y venait, on l’a éloigné, repoussé, mis en fuite. Par là, Romains, vous déciderez qu’il n’y a de violence que dans le meurtre, et non aussi dans l’intention de le commettre ; qu’il n’y a pas de violence, à moins qu’il n’y ait du sang de répandu ; que celui qu’on a éloigné avec les armes n’a qu’une action pour outrage ; que je ne saurais être chassé d’un lieu, à moins qu’on n’y voie les traces de mes pas. Décidez donc, Romains, lequel vous paraît plus utile, de retenir l’esprit de la loi, et d’avoir surtout égard aux principes d’équité, ou de donner la torture au droit, en chicanant sur les mots et les syllabes.

Dans ce moment, j’ai lieu de m’applaudir de l’absence d’un illustre jurisconsulte qui se trouvait dernièrement à l’audience, et qui a suivi tous les plaidoyers de cette affaire ; c’est de Caïus Aquillius que je veux parler. S’il était présent, je m’exprimerais avec plus de timidité sur ses vertus et ses lumières ; sa modestie pourrait s’offenser de mes louanges, et moi-même je rougirais de le louer en face. Nos adversaires ont prétendu qu’on ne devait pas trop déférer à son autorité ; moi, quoi que je dise d’un tel homme, je ne crains pas d’en dire plus que vous n’en pensez ou que vous ne désirez que, j’en dise. Je soutiens donc qu’on ne peut trop déférer à l’autorité d’un homme dont le peuple romain a reconnu les lumières dans les sages formules qu’il indiquait aux plaideurs, et non dans de vaines subtilités ; qui n’a jamais séparé le droit civil de l’équité naturelle ; qui, depuis tant d’années, consacrant au peuple romain son génie, ses travaux, ses vertus, tient sans cesse ouverts pour lui ses trésors précieux ; qui est si droit et si honnête que ses décisions paraissent plutôt inspirées par la nature que dictées par la science ; si habile et si éclairé, qu’il semble devoir au droit civil, non seulement les lumières de son esprit, mais les qualités de son cœur ; dont le génie est si étendu et la probité si spontanée, qu’on sent soi-même qu’on ne puise rien dans une telle source que de pur et de limpide. Ainsi, Pison, nous vous savons infiniment gré de dire que notre défense est appuyée de l’autorité d’un tel homme. Mais je suis surpris que vous citiez comme étant contre moi celui même que vous nommez comme venant à l’appui de notre défense ! Que dit enfin cet Aquillius dont nous nous appuyons ? On doit agir, dit-il, selon les termes dans lesquels sont exprimés un acte et une sentence.

XXVIII. Parmi les jurisconsultes, ne puis-je