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sciemment, le moyen de persuader qu’il s’est déterminé par la déposition d’un témoin ou par l’autorité d’une pièce. Il n’est rien de tel dans le droit : il n’y a pas de pièces fabriquées ; il n’y a pas de faux témoins. Ce crédit énorme, qui a trop de pouvoir parmi nous, demeure oisif en ce seul cas ; il n’a aucun moyen d’effrayer, de corrompre ou de surprendre un juge, enfin il ne saurait produire la moindre sensation. Un homme moins scrupuleux qu’accrédité, peut dire à un juge : Jugez que cela a été fait ou n’a jamais été fait ni même imaginé ; croyez ce témoin, approuvez cette pièce. Mais il ne peut lui dire : Jugez que le testament de celui à qui il est né un fils après sa mort, n’est pas nul ; qu’on peut exiger ce qu’une femme a promis sans l’aveu de son tuteur. La puissance ni le crédit n’ont aucun accès dans ces sortes de questions. Enfin ce qui doit rendre le droit plus sacré et plus vénérable c’est que, en pareil cas, un juge ne saurait être corrompu par argent. Ce témoin produit par vous, Ébutius, ce sénateur qui a osé CONDAMNER un citoyen, quoiqu’il n’eût pu même savoir de quoi on l’accusait, n’oserait jamais décider que la dot qu’une femme a promise sans être autorisée de personne, est due à son époux. Quelle science admirable, Romains, et digne à ce titre d’être conservée !

XXVI. Oui, tel est le droit civil ; nul crédit ne peut le changer, nulle puissance ne peut l’ébranler, nul argent ne peut l’altérer. Si on le détruit, que dis-je ? si l’on s’en écarte, si on ne le conserve pas dans toute sa pureté, on ne peut plus compter ni sur ce qu’on reçoit de son père, ni sur ce qu’on laisse à ses enfants. De quoi vous sert-il, en effet, qu’une maison ou une terre vous soit laissée par votre père, ou vous tombe en partage par quelque autre voie légitime, si vous n’êtes pas sûr de pouvoir garder tout ce que vous possédez alors par droit de propriété, si on peut attaquer votre droit, si le crédit d’un homme puissant vous empêche de posséder en vertu de la loi civile et publique ? De quoi vous sert-il d’avoir une terre si, sous quelque prétexte, on peut changer et bouleverser les règles sagement établies par nos ancêtres pour les bornes, pour les possessions, pour les eaux et pour les chemins ? Croyez-moi, vous êtes plus héritiers de vos biens, par les lois et le droit civil, que par les personnes mêmes qui vous ont transmis ces biens. C’est en vertu d’un testament qu’une terre tombe en ma possession ; mais je ne puis conserver, sans le droit civil, ce qui m’est devenu propre. Une terre peut m’être laissée par mon père ; mais le droit de prescription, mais le terme de toute inquiétude et de la crainte des procès, ne m’est point laissé par mon père ; c’est aux lois que j’en suis redevable. Le droit de conduire l’eau, d’en puiser, le droit de chemin et de passage, m’est laissé par mon père ; mais je tire du droit civil la confirmation de tous ces droits. Ainsi le patrimoine public du droit que vous avez reçu de vos ancêtres, vous ne devez pas le conserver avec moins d’attention que vous conservez vos patrimoines particuliers, non seulement parce que ceux-ci n’ont de sûreté que par le droit civil, mais encore parce qu’un seul homme souffre de la perte d’un patrimoine de famille, au lieu que la science