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quel je me mets à l’abri : Je ne vous ai point chassé d’un lieu où je vous ai empêché de venir ; » vous qui jouez un pareil rôle, vous blâmez les jurisconsultes de croire qu’on doit avoir égard au droit et non pas aux mots.

XXIV. À ce sujet, vous avez rappelé que Scévola n’avait pas gagné une cause qu’il plaidait au tribunal des centumvirs. J’ai déjà cité le même Scévola ; et quoique sa cause fût soutenable, tandis que la vôtre ne l’est pas, je l’ai dit : Scévola, faisant la même chose que vous faites à présent, ne persuada personne, parce qu’il semblait, avec des mots, vouloir renverser toute justice. Je suis surpris que, dans une telle affaire, vous ayez attaqué les jurisconsultes mal à propos et contre l’intérêt de votre cause ; et en général, ce qui m’étonne, c’est que, dans les tribunaux, quelquefois même des orateurs de beaucoup d’esprit soutiennent qu’il ne faut pas toujours s’en rapporter aux jurisconsultes, qu’il ne faut pas toujours dans les causes consulter le droit civil.

Si ceux qui soutiennent ce sentiment disent que les jurisconsultes ne décident pas bien, ce ne sont pas les règles du droit civil qu’ils doivent attaquer, mais les décisions de l’ignorance. Convenir que les jurisconsultes répondent comme ils le doivent et dire qu’on doit juger autrement, c’est vouloir qu’on juge mal ; car il n’est pas possible qu’on doive juger d’une façon et répondre d’une autre, ni qu’on soit habile jurisconsulte quand on décide comme un point de droit ce qui ne doit pas être confirmé par un jugement. Mais on a quelquefois prononcé contre la décision des jurisconsultes. D’abord, a-t-on jugé bien ou mal ? Si l’on a bien jugé, c’est selon le droit qu’on a jugé ; sinon, vous voyez clairement, qui des juges ou des jurisconsultes, sont blâmables. Ensuite, si l’on a jugé lorsque le droit était douteux, on n’a pas plus jugé contre les jurisconsultes, en prononçant contre l’avis de Scévola, que jugé d’après leur autorité, si on a suivi l’opinion de Manilius. Crassus lui-même, plaidant devant les centumvirs, ne parlait point contre les jurisconsultes, mais il faisait voir que l’opinion soutenue par Scévola n’était pas conforme au droit ; et pour le prouver, il ne se contentait point d’apporter des raisons, il s’appuyait de l’autorité de Quintus Mucius, son beau-père, et de plusieurs hommes fort habiles.

XXV. Rejeter le droit civil, c’est agir contre l’intérêt de tous, c’est renverser le soutien des tribunaux, c’est détruire les fondements de la société. Blâmer les interprètes du droit, dire qu’ils ne connaissent pas le droit, c’est déprimer les personnes et non le droit civil. Croire qu’il ne faut pas écouter ceux qui sont instruits, ce n’est pas offenser les personnes, c’est attaquer les lois et la justice. Il est donc absolument nécessaire de vous persuader qu’il n’est rien dans un État qu’on doive conserver plus soigneusement que le droit civil, puisque sans ce droit je ne puis savoir ce qui est à moi ou à autrui, et qu’il n’est plus de règle commune et uniforme, qui fixe les incertitudes des citoyens. Ainsi, dans les autres questions soumises aux tribunaux, lorsqu’on examine si un fait est réel ou non, si c’est une vérité ou un mensonge, il n’est que trop ordinaire de suborner un témoin, de fabriquer des pièces ; quelquefois on présente l’erreur à un juge intègre, sous une apparence spécieuse ; on fournit à un juge corrompu, qui a mal jugé